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Mais, en un tour de main, maman m’enleva, me fit dégringoler l’escalier, sauter en tramway, et m’enjoignit de me taire. Aussitôt à la maison, encore essoufflée, elle conta mon cas à bonne maman, qui décida dans sa sagesse : « Il faut faire venir le docteur. »

Le docteur écouta avec bienveillance les discours de maman ; j’avais préparé les miens, qui me paraissaient fort intéressants, puisque c’était moi le patient, mais je fus priée de les rengainer.

— Eh bien ! madame, dit en substance le docteur, c’est très simple ; cette enfant est un peu anémique, assez excitée et enthousiaste ; il lui faut beaucoup de calme, pas de théâtre, pas de musées surtout, rien qui la surexcite.

— Alors, monsieur, interrompit timidement maman, il faut peut-être cesser tout travail ?

— Non, madame, vous pouvez la faire travailler.

Ceci mit le comble à mon indignation ; mais j’invoquai les héros romains que m’avait révélés le Rollin du jeune âge, et je ravalai stoïquement ma colère ; seulement, mon petit front restait barré d’un premier pli de scepticisme ; je soupçonnai les médecins de parler dans le sens qui fait plaisir à leurs clients, et j’eus la révélation du danger qu’il y a à donner un libre cours à ses impressions. Et tout au fond, je traitai d’âne le docteur qui jugeait qu’on pouvait me faire travailler sans danger.

Vers cette époque, j’eus une coqueluche dramatiquement suivie d’une bronchite ; elle avait été précédée d’une rougeole qu’avait devancée une varicelle ; et je crois bien que ce fut la même année qu’une belle nuit je m’offris une crise de faux croup ! On crut d’abord que c’était le croup tout court, mais je m’en tirai à mon honneur et il resta célèbre.

Après ces maladies, le plus dur fut de reprendre le piano.

Pauvre maman ! combien je vous ai fatiguée, avec mes doigts raides, ou crochus, ou trop mous, et ma mauvaise volonté involontaire ! Et combien je vous remercie de m’avoir inculqué de force l’amour de la divine musique !

Quand vous jouiez, vous me remplissiez l’âme de mélancolie et de vague inconnu ; vous jouiez avec un sentiment très particulier des choses tristes ; lentement et souvent le Clair de lune, ou bien l’Impromptu de Chopin ; à présent, j’entends les accents et l’étrange angoisse que vous y mettiez, et je ne peux