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toute espérance en la justice et en la loyauté. » Et les bravos ont redoublé, lorsque M. Gaston Doumergue a expliqué qu’il ne voulait pas prendre la responsabilité de provoquer, par le rejet de la loi, une crise dont les « personnages consulaires » avaient déjà, dit-on, escompté le résultat et lorsqu’il a ajouté avec une émotion communicative : « Ce n’est pas pour ou contre le gouvernement que je vais voter. Les votes que tous ici nous allons émettre, les paroles que nous prononçons, seront entendus, je l’espère, ailleurs que dans cette enceinte. Il ne faut pas croire que ceux qui votent le projet s’inclinent et acceptent. Ils font une dernière fois confiance à cet esprit de justice pour le triomphe duquel la France s’est battue, avec ses Alliés à côté d’elle. Les situations changent et tel qui peut aujourd’hui se passer des voisins en aura peut-être demain grandement besoin. » Une dernière fois ! tel était le mot qui était sur toutes les lèvres.

Ne recherchons pas plus longtemps s’il n’eût pas été possible de recourir à d’autres méthodes et d’éviter ce qui s’est passé. Mais tâchons enfin de sauver ce qui reste du traité. Méditons les explications que le chancelier Fehrenhach a fournies au Reichstag et surtout celles qu’il a plus librement données au correspondant de la Neue freie Presse : « Nous savions bien que l’Entente avait fait tous les préparatifs militaires pour occuper le bassin de la Ruhr et qu’en cas de refus, l’avance aurait eu lieu immédiatement. Or, une occupation du bassin de la Ruhr, dans les circonstances actuelles, aurait constitué le plus grave danger pour l’unité allemande. Si on laissait à l’Entente la possibilité de fixer la répartition du charbon de la Ruhr, elle ravitaillerait certainement d’une manière abondante les pays rhénans et l’Allemagne du Sud, et avec la plus grande parcimonie l’Allemagne du Nord et de l’Est : elle aurait ainsi un moyen puissant de provoquer ou de renforcer des tendances séparatistes à l’Ouest et au Sud de l’Allemagne. Nous avons tenu à écarter ce péril par la signature de la convention. » Ainsi, en déchargeant l’Allemagne d’une partie de ses obligations et en lui ouvrant des crédits, les Alliés lui ont permis d’écarter le péril de la désagrégation du Reich. Relisons Fehrenbach, rappelons-nous son aveu et, dans le secret de notre conscience, portons sur l’habileté des Alliés un jugement silencieux.

Pour ne pas se séparer de l’Angleterre, la France a cédé. Mais l’Angleterre n’obéit pas toujours à ces intérêts mercantiles dont l’influence s’exerce parfois sur la politique des grands États. Elle est,