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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/440

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il songeait, d’abord, à l’intérêt national et lorsque, par hasard, il pouvait sembler nécessaire de faire disparaître d’apparentes contradictions entre le devoir patriotique et le devoir religieux, le cardinal avait des ressources infinies de bonne grâce et de tact pour résoudre, au profit simultané de la religion et de la France, les questions les plus embarrassantes et les problèmes les plus délicats. La discrétion seule m’empêche de citer des exemples significatifs des services éminents qu’il a ainsi rendus au pays. Il suffisait que le gouvernement de la République fit appel à son concours pour que, sans ménager ni son temps ni sa peine, il prit sa large part de la tâche commune. Quelques jours avant de quitter le pouvoir, M. Clemenceau a désiré l’entretenir des inconvénients que présentait, dans la forme où elle était annoncée, une quête en faveur d’enfants étrangers, et il m’a demandé si je pourrais prier le cardinal de venir causer avec lui, dans mon cabinet. À peine informé de ce désir, Mgr Amette accourait à l’Élysée et, dès les premiers mots de la conversation, l’incident était réglé.

Dans les phases les plus terribles de la guerre, le cardinal avait conservé toute sa confiance et sa sérénité. Le défaitisme n’avait pas d’ennemi plus résolu que lui. Son cœur de chrétien souffrait cependant beaucoup des douleurs et des deuils qu’imposait à la France et à l’humanité l’effroyable prolongation des hostilités. Il m’est souvent arrivé de le rencontrer au chevet des blessés, dans les hôpitaux de Paris ; je l’ai vu notamment à l’Hôtel-Dieu, le Vendredi-Saint de 1918, après l’horrible massacre de l’église Saint-Gervais ; j’ai été témoin de sa délicatesse et de sa bonté. Mais, même en ces moments où la charité de son ministère aurait pu l’absorber tout entier, il restait l’apôtre d’une nation en armes, qui combattait pour la liberté et qui ne voulait pas fléchir.

M. Denys Cochin a rapproché un jour, dans un joli tableau mystique qu’il a peint avec une admiration respectueuse, le cardinal Amette et le cardinal Mercier, qui arrivaient ensemble à Paris, pendant la bataille de la Marne, après le Conclave où venait d’être élu le pape Benoit XV ; et il les comparait tous deux à saint Loup et à saint Aignan, tels que les a représentés Puvis de Chavannes, bénissant la fillette qui devait être sainte Geneviève. Autant, en effet, la figure mortelle du cardinal Amette contrastait avec celle du cardinal Mercier, autant semblaient sœurs les âmes des deux prélats. L’un et l’autre sincèrement et profondément catholiques, docilement soumis aux lois de l’Église, étroitement attachés à tous les devoirs de leur charge.