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pour se révéler joyeux boute-en-train. Une miniature de famille montre à cette époque les traits fins d’un jeune homme de vingt-cinq ans, aux cheveux annelés, aux yeux noirs légèrement embués de rêverie, le col engoncé dans la haute cravate, perdu entre les parements d’une de ces étonnantes redingotes « fumée de Londres, » dernier cri de la mode en 1820.

Plusieurs châtelains des environs, attachés aux idées libérales, les Beaucorps-Créqui, les Belot, les Bouville, recevaient également chez eux un jeune compatriote, espoir de leur parti. Mais de toutes les demeures qui s’ouvraient à lui, celle où revenait le plus volontiers Augustin Thierry était le domaine de Pempenneau, propriété du savant juriste Par-dessus. Le député de Loir-et-Cher, l’éditeur de la Loi Salique, possédait la une maison des champs dont, bien des années plus tard, l’auteur des Récits des Temps Mérovingiens se plaisait toujours à évoquer le décor : « la vaste bibliothèque, les parterres de roses rouges et les allées de grands peupliers, peut-être morts aujourd’hui, l’un des derniers spectacles qu’aient contemplés mes yeux. »

Prosélyte ardent de La Fayette, il se montrait naturellement fort assidu auprès de son chef et de son modèle[1]. Il compte donc parmi les habitués du salon La Fayette, fait de fréquents séjours à la Grange.

La Grange-Bléneau ! ce nom est presque oublié aujourd’hui ; en 1820, il sonnait comme une fanfare de bataille aux oreilles de toute une génération. Des bouches éloquentes le prononçaient avec respect. C’était alors l’arche sainte, le temple consacré du libéralisme. Le général s’y était retiré en 1799 pour se consacrer à l’élevage. Il menait là une vie en apparence toute patriarcale, absorbé par le soin de ses troupeaux. En réalité, c’est de La Grange que partira, sous la Restauration, le signal des coups de main et des complots. Outre sa famille et ses proches : les Destutt de Tracy, les Lasteyrie, les Ségur, les Maubourg, les

  1. On se représente malaisément Augustin Thierry dans le personnage d’un manifestant, prenant sa part des multiples bagarres, quelques-unes fort sérieuses, dont Paris fut le théâtre sous la Restauration. En compagnie de son frère, d’Arnold, d’Aryet d’Henry Scheffer, il s’y jeta avec ardeur. Lors des incidents Bavoux, à l’École de Droit, cueilli en même temps que ses compagnons par la police du comte Angles, il alla passer la nuit au poste, faillit même être inculpé dans les poursuites. Quelques mois plus tard, à la manifestation du 3 juin 1820, place Louis XV, où fut tué le jeune Lallemand, vivement pressé par un dragon, il dut se jeter dans le fossé des Tuilerie ? et pensa s’y rompre la cuisse.