Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manches, souillées de boue, attestant par leurs reflets mordorés qu’une vénérable crasse les a cirées au long des ans. Deux barques de pêche, halées sur la grève et montées par des moines, étalent au soleil leurs filets. Nulle voix ne s’élève de ce monde de fantômes.


* * *

Lorsque, au Xe siècle, Nicéphore Phocas énamouré se retira en sa cellule de Lavra, des cénobites peuplaient déjà l’Athos. Ils accoururent pour la plupart se ranger sous la règle sévère de l’implacable ascète. Lavra grandit, devint une cité monastique, s’enorgueillit de sa splendeur, de ses richesses, rançon du repentir impérial et se targua du titre de La Sainte Très Grande Lavra. L’éclat de sa réputation attira sur la montagne toutes les ardeurs mystiques de Byzance. Princes et grands seigneurs revenus de leur vie de passions et de débauches, généraux en disgrâce, empereurs en mal de pardon s’en vinrent à l’Athos ensevelir leurs désillusions ou leurs misères et s’y ménagèrent, par de pieuses fondations, des apaisements à leurs religieux effrois. Ainsi naquit le couvent d’Iviron, peu après Lavra. Presque dans le même temps, s’élevait Valopédi, le fameux monastère de l’enfant au framboisier, dont la légende attribue la fondation à l’empereur Théodose, en souvenir du sauvetage miraculeux de son fils Arcadius retrouvé, après naufrage, sous un framboisier. Puis les couvents, sous l’effet des munificences impériales ou privées, des dotations, des privilèges, se multiplièrent. Des Géorgiens, des Russes, des Serbes, des Bulgares, s’établirent pieusement sur la terre, athonite. On vit un roi de Serbie, Siméon Nemanya, s’enfermer avec son fils saint Sava dans le monastère de Hilandari qu’il avait bâti. Comblée des faveurs de Byzance, affranchie de toute autorité, obéissant à la règle de saint Athanase, régie par un « prôtos » nommé par l’Empereur, la république monacale de l’Athos connut sous les Paléologues une merveilleuse prospérité.

Depuis lors, de nombreuses convulsions en ont changé l’existence intime. L’idiorrythmie se substitua à la vie commune et permit aux moines de garder leur fortune propre, leur indépendance particulière, de ne former qu’une sorte d’association de prière. L’ascétisme se tempéra. Et l’autorité