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remis son nom dans toutes les bouches. L’aide qu’il a autrefois prêtée à la cause des Insurgents, la part qui lui revient dans leur victoire, dont apparemment les Américains sont meilleurs juges que nous, ont apparu plus grandes que nous ne croyions et l’on s’est même rendu compte que cette intervention, cette victoire ont été un service rendu tout à la fois à la cause française et à l’équilibre du monde, car la puissance de l’Angleterre eût été singulièrement formidable, si un lien aussi fort que celui qui la relie encore aujourd’hui au Canada eût continué de l’unir à une colonie s’étendant de l’Atlantique au Pacifique.

A l’instar des Américains, les Français se sont repris de curiosité, de goût, on pourrait dire de tendresse pour La Fayette. Les hommages ont succédé aux hommages, les fêtes aux fêtes. On a porté des couronnes de fleurs aux pieds de la statue qui lui a été tardivement élevée. On s’est rendu en pèlerinage à son château de Chavaniac, qu’une souscription a racheté. Bref, on l’a érigé sur un piédestal et à tout prendre, on a eu raison, car il demeure, malgré certaines faiblesses, une très élégante figure, et un représentant très noble de l’ancienne aristocratie française. Dans un petit pays auquel me rattachent de vieilles traditions de famille, a cours un proverbe un peu trivial qui répond à l’étonnement que fait éprouver la lenteur de la Providence à récompenser les bonnes actions : « Dieu ne paye pas tous les samedis. » Le jour où le premier soldat Américain a posé son pied sur les côtes de Bretagne, ce samedi-là, Dieu a payé.

La situation de Mme de Staël, au jugement de l’opinion publique, est exactement opposée à celle de La Fayette. Autant il a monté d’échelons sur l’échelle de la popularité, autant elle en a descendu. L’expression de « popularité » n’a jamais pu du reste s’appliquer exactement à Mme de Staël. Jamais elle n’a cherché ni connu les faveurs ni les applaudissements de la foule. Mais depuis sa jeunesse, on pourrait presque dire depuis son enfance[1] jusqu’à sa mort, elle a toujours vécu entourée

  1. J’ai retrouvé à Coppet un petit crayon d’elle enfant, à la sanguine, qui est l’œuvre de Carmontelle. La figure est franchement laide, mais les yeux pétillants d’expression et d’esprit. L’auteur de ce crayon a évidemment voulu la montrer telle que l’a dépeinte son amie Mme Rilliet, assise sur un petit tabouret de bois où Mme Necker l’obligeait à se tenir bien droite, et où elle trouvait réplique à tous les beaux esprits qui fréquentaient le salon de sa mère.