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de Maulevrier qui attenait au fief de Chavigny, appartenant aux Rabelais. Mais le seigneur du village, celui qui avait le fief du château, M. de Lerné, enfin, — les documents nous apprennent que c’était Gaucher de Sainte-Marthe. À vrai dire, la terre ne lui appartenait pas ; l’abbesse de Fontevrault la lui avait seulement allouée, peut-être en récompense des soins médicaux qu’il lui avait donnés ; et le domaine n’était pas non plus bien grand ni bien riche, mais il devait avoir des droits de justice assez importants. Le château, — le Capitoly de Picrochole, — domine légèrement le village. C’est là que les fouaciers se transportèrent aussitôt arrivés.

Ils firent leurs doléances à leur seigneur qui entra en un furieux courroux et, sans plus d’enquête, rassembla son armée. Voilà donc les soldats de Picrochole en campagne. Ils se répandent dans les champs, dévastent tout selon l’usage, envahissent et pillent Seuilly en dépit de la poste qui y règne, — les épidémies étaient fréquentes alors : peut-être est-ce encore un fait véritable que Rabelais rapporte là, — et arrivent devant l’abbaye ; mais, la trouvant bien verrouillée et fermée, l’armée continue sa route, sauf deux enseignes et deux cents lances qui rompent les murailles du clos et commencent à cueillir le raisin et ravager la vendange.

C’est à ce moment qu’apparaît dans l’histoire frère Jean des Entomeures, « jeune, guallant, frisque, de hayt, bien dextre, hardy, adventureux, délibéré, hault, maigre, bien fendu de gueule, bien advantagé en nez, beau despecheur d’heures, beau desbrideur de messes, beau descrotteur de vigiles, pour tout dire sommairement vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie, au reste clerc jusques ès dents en matière de bréviaire. » Chacun sait comment, ayant harangué le prieur et les moines à sa façon, il fit une sortie dans le clos et choqua si roidement les ennemis qu’il les mit en déroute sans autre secours que l’indignation qu’il sentait à les voir gâter sur pied le piot de l’abbaye, sans autre arme que le bâton de la croix, « qui estoyt de cueur de cormier, long comme une lance, rond a plein poing et quelque pou semé de fleurs de lys, toutes presque effacées, » — et que Rabelais avait dû bien souvent voir aux processions.

Hélas ! les vignes que le vaillant et joyeux frère sauva par ce non pareil exploit n’ont pas été épargnées par le phylloxéra. Et