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parmi les hauts plateaux encadrés de pics, alors qu’il erre sans ouïr d’autre souffle humain que celui de son sein, et que l’absence de celle qui dort loin de lui, en bas, arrache à son cœur un sanglot si profond qu’il en devient un chant. Il dit les soirs d’alerte, de cris et de fureur, emplis du grognement des ours rués sur le troupeau, des abois des chiens géants des Pyrénées, qui roulent de gorge en gorge comme un tonnerre, des coups de feu à bout portant, tandis que, se précipitant au bruit de lutte reconnu, d’autres bergers accourent des pacages voisins pour lui prêter main-forte et secouent des torches crépitantes au-dessus de la mêlée. Il dit enfin l’aspect de ces sommets, où l’on monte de la vallée une fois par semaine seulement pour le ravitailler, où croissent la gentiane, le réglisse, l’arnica, plante salutaire, où la framboise et la fraise abondent, rubis tendres que chaque aurore verse, où des massifs de rhododendrons se balancent au souffle de vents vierges, où l’on cueille cette merveille inconnue ailleurs : la rose sans épines... Il dit, sans éclats, sans gestes, et, devant les yeux enchantés de ces hommes de la terre, d’autres Pyrénées qu’ils n’ont jamais vues surgir à l’horizon, pleines de faces nouvelles, insoupçonnées, passent toutes dentelées sur l’azur infini...


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Le berger s’est tu, le maître se lève. « Allons, minuit arrive, habillons-nous. » — On obéit. On « approche » les sabots, garnis de paille rompue qui tient chaud, les capes, les tricots de laine brute, les lanternes enfin, car la lune à Nadaou est souvent tardive. On y met des bougies. Et voici que des voix s’approchent dans l’enclos. Des gens frappent à la porte en appelant : voisins et voisines qui viennent les chercher pour cheminer de compagnie. La porte s’ouvre, on part. On cause, on rit d’abord, et puis les propos tombent. Et l’on va, muets, gagnés par le recueillement de la nuit bénie où beaucoup de femmes communieront, attentifs à suivre l’orbe lumineux des lanternes qui oscille au balancement des pas. Dès le seuil franchi, au dehors, les cloches les ont accueillis de leur chant. Des quatre points cardinaux, elles ébranlent l’air de leurs carillons, dont le calme de la nuit accroît la force ou la limpidité, comme prises d’émulation, comme si leur bouche d’airain s’échauffait en vibrant. On reconnaît celle de Mormès, petite et vieille, qui