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d’abord en Crète et de là à Samos, Chio, Mitylène, Lemnos et finalement Salonique, puis-je invoquer la protection française pour garantir la sécurité de mon voyage contre des désagréments éventuels de la part des bateaux ennemis ?… Au moment où vos bâtiments de guerre sont tellement occupés, j’ai beaucoup hésité avant de formuler cette demande. Mais je sais qu’on ne s’adresse jamais en vain à la générosité française et c’est ce qui m’a décidé à vous adresser cette lettre. »

Le signataire savait quelle réponse il allait recevoir et, en effet, quelques heures après, il était averti que l’attaché naval de la Légation avait été pourvu d’instructions en vue des mesures à prendre pour organiser ce départ. Déjà avant de s’y résoudre, le fugitif avait longtemps hésité, partagé entre les perplexités les plus contradictoires. Une révolution était nécessaire pour assurer la constitution d’une grande Grèce, mais une révolution court toujours le risque d’engendrer l’anarchie et il se demandait s’il pourrait conjurer ce péril après avoir déchaîné la tempête.

D’autre part, il entendait, de plus en plus vives, les plaintes de ses partisans, non seulement leurs plaintes, mais encore leurs reproches : « Vous nous dites tous les jours que le pays marche à la catastrophe. Si ce n’est pas vrai, pourquoi nous le dites-vous ?… Si c’est vrai, pourquoi ne faites-vous rien pour la prévenir ?… Nous en tirons cette conclusion, qu’il n’y a rien à faire, et nous ne songeons même pas à essayer de faire quelque chose, ne pouvant nous flatter de réussir là où vous auriez échoué. »

L’argument était sans réplique, Vénizélos en était frappé, et inclinait de plus en plus à un parti énergique et décisif, que d’ailleurs lui commandait le mouvement national commencé en Macédoine par le patriote Argyropoulo. Si Vénizélos ne se hâtait pas, Argyropoulo le devancerait dans la voie libératrice et par des moyens qui auraient pour résultat de diviser les libéraux et de retarder la libération, il consultait les plus éminents de ses amis et notamment l’amiral Coundouriotis. L’amiral avait été deux fois ministre et en dernier lieu dans le cabinet Skouloudis, mais relégué dans le gouvernement officiel, il avait toujours été tenu à l’écart du gouvernement occulte, bien qu’il ne pût mettre en doute son existence. Consulté par Vénizélos, il avait aussitôt reconnu « que la Grèce était trahie. » Il était donc tout prêt à