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au lendemain du grave litige que la question du Maroc et l’incident d’Agadir avaient suscité entre l’Allemagne et la France.

Très vite, les impressions mauvaises, que j’avais rapportées de Sofia, s’étaient précisées, accentuées. Il m’était chaque jour plus manifeste que l’intransigeance croissante de la Chancellerie allemande et ses machinations occultes devaient aboutir infailliblement à un conflit prochain.

Mes préoccupations semblèrent assez fondées au gouvernement pour qu’il jugeât nécessaire d’examiner de près le fonctionnement éventuel de nos alliances. Au cours du mois de mai 1912, des conférences secrètes furent tenues le soir au Quai d’Orsay, sous la présidence de M. Poincaré, avec la participation de M. Millerand, ministre de la Guerre, de M. Delcassé, ministre de la Marine, du général Joffre, chef d’état-major général de l’Armée, de l’amiral Aubert, chef d’état-major général de la Marine, et de moi ; il en résulta un plus étroit concert entre les grands services publics auxquels devait incomber, en cas de guerre, le principal effort de la défense nationale.

Durant les mois qui suivirent, j’eus à étudier plusieurs fois, dans la limite du rôle consultatif qu’impliquait ma fonction, s’il n’était pas possible d’améliorer nos rapports avec l’Allemagne, de lui ouvrir un crédit de confiance, de chercher avec elle des sujets de conversation, des occasions d’action commune et de loyale entente. Je crois avoir l’esprit assez libre pour affirmer que je procédai à cette étude avec une objectivité absolue. Mais, chaque fois, je dus reconnaître que toute complaisance de notre part était interprétée à Berlin comme une marque de faiblesse, dont la Chancellerie impériale essayait aussitôt de tirer parti pour nous arracher une concession nouvelle ; que la diplomatie allemande poursuivait inflexiblement un vaste plan d’hégémonie, et que l’inflexibilité de ses vues augmentait chaque jour les risques d’un conflit. J’avais en outre le regret de constater que le pacifisme bruyant de nos socialistes et du parti inféodé à M. Caillaux ne réussissait qu’à surexciter l’arrogance et les appétits de l’Allemagne, en lui permettant de croire que ses procédés d’intimidation pourraient à la longue nous maîtriser et que le peuple français était résigné à tout subir plutôt que de recourir aux armes.