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figure aussi profondément vivante qu’un des portraits de Balzac. Ce petit notaire de province n’a pas d’autre morale que celle du Code. C’est lui qui a répondu au reproche qu’on lui faisait de tourner la loi : « Je la tourne, donc je la respecte. » C’est lui qui a dit : « Le seul moyen d’avoir une règle fixe en ce monde, c’est de s’attacher à la forme ; car les hommes ne sont d’accord que là-dessus. » Il est un terrible tyran domestique. Son égoïsme atteint à la grandeur. Il est sourd aux cris de ses victimes ; dans son for intérieur il leur donne tort, certainement. Il dupe avec une habileté féroce un pauvre diable d’inventeur sans défense ; il a fait, de sa femme une esclave qui l’admire, et il s’indigne de n’avoir pu monnayer la gloire de son fils : les décorations et le grade gagnés sur des champs de bataille. Le dénouement fait penser à celui des Lionnes Pauvres, mais, cette fois, le malheur frappe un coupable. Guérin, abandonné des siens qui le méprisent, reste seul avec un paysan madré et une servante rougeaude dont il subira le despotisme et la grossièreté.

Transportez maître Guérin à Paris ; au lieu d’un tabellion de village, qu’il soit un grand financier ; que les hasards de la vie l’aient placé à côté d’un journal à vendre, près d’une marquise et d’un duc ; à côté de lui, mettez un homme plus cynique encore et plus ambitieux, et vous aurez les personnages principaux des Effrontés, du Fils de Giboyer, de la Contagion, et de Lions et Renards.

Dans ces quatre pièces, Augier n’abandonne pas son rôle de redresseur des torts de la bourgeoisie, mais il hausse en même temps son effort et son talent jusqu’à la comédie sociale, et, en les étudiant, nous allons voir vivre devant nous la société du Second Empire, entre 1850 et 1867.

Déjà, en 1854, Augier avait mis en présence l’aristocratie et la bourgeoisie dans une aimable comédie, le Gendre de M. Poirier, qui n’est pas la plus puissante de ses œuvres, mais la plus adroite, la plus heureuse, la plus agréable à entendre. Il est inutile d’en rappeler le sujet. Chacun à présent à la mémoire le souvenir de cette lutte entre M. Poirier, ancien marchand de drap multi-millionnaire, et son gendre M. le marquis de PresIes, lutte dans laquelle les coups s’égarent souvent sur la fille de l’un, la femme de l’autre, la délicieuse Antoinette. M. Poirier, c’est le bourgeois moyen. On l’a comparé à Georges Dandin ;