Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans la vie privée, il a gardé quelque chose des vertus qu’on attribue au gentilhomme. Il les montrera lorsqu’il s’agira de défendre l’honneur de la marquise qu’il a cependant eu le tort d’épouser lorsqu’elle avait dix-sept ans et lui cinquante, à laquelle il a peu de droits de reprocher une faute, pour cela d’abord, et ensuite parce que lui-même n’est pas sans reproche, étant le père d’une enfant née chez M. Maréchal. Mais il est par d’autres côtés bien méprisable. Non seulement, il est de ceux qui pratiquent la politique du pire, de ceux qui se réjouissaient des échecs de la France parce que ces échecs amoindrissaient un gouvernement qui n’était pas de leur goût, mais il prend un plaisir sadique à voir des bourgeois se vautrer dans la boue ; mieux, il les y pousse, il les encourage à s’y plonger, feignant de les excuser, et même de leur donner son approbation. Il est insolent, il est méchant, il poursuit bassement une basse vengeance. Il est, lui aussi, un effronté et un cynique : « Je m’amuse à fomenter la corruption de la Bourgeoisie, dira-t-il, elle nous venge. »

Tels sont les deux êtres, le bohème Giboyer et le marquis d’Auberive entre lesquels se trouve placé le symbolique M. Maréchal hésitant à prendre l’un ou l’autre pour modèle. Augier ne nous montrera pas ce qu’il fut devenu, ce bourgeois, en suivant Giboyer, mais dans la Contagion il placera sous nos yeux le spectacle de la Bourgeoisie contaminée par la fréquentation de ces aristocrates inférieurs, réduits eux-mêmes à des expédients, à des intrigues ; ils n’auront de but à leur vie que la jouissance, comme le baron d’Estrigaud, qui n’est qu’un marquis d’Auberive abaissé de quelques échelons, « incapable d’une bassesse, mais capable d’un crime… un bandit du XVIe siècle égaré dans le XIXe. »


V

Augier fut donc pour les vices et les travers de la bourgeoisie un moraliste austère, un satiriste impitoyable. Mais il ne fut pas un moraliste complet. Il lui a manqué un certain respect de la femme. Il lui échappe, sur elle, de lourdes plaisanteries d’homme chaste. Le jeune Reynold dans Madame, Caverlet fait au frère de sa fiancée des confidences gênantes, et qu’il serait difficile, isolées du contexte, de répéter ici. Dans Philiberte, il