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paradoxes. Mais cette terrible aventure n’avait été pour lui qu’une aventure. Son hérédité militaire, — un Larzac s’est distingué à Fontenoy, — avait agi en lui, comme automatiquement, sans que sa moralité, ou plutôt son immoralité sentimentale en fût redressée. Le mot de Malhyver sur les oublieux de la guerre ne s’appliquait que trop à ce séduisant, mais déloyal amant. Sitôt libre, il avait recommencé de mener la vie du Parisien comblé, pour qui la fidélité envers une maîtresse est presque une tare. Sa liaison avec Mme de Malhyver datait de trop loin pour lui tenir au cœur autrement que par l’habitude, et l’appétit du fruit nouveau le travaillant, il était en coquetterie réglée avec la jeune et jolie Cécile Machault. Pourquoi Géraud, en énumérant les convives du dîner Candale, avait-il prononcé leurs deux noms, l’un aussitôt après l’autre ? Avait-il voulu constater l’effet produit par ce rapprochement sur Odette ? Soupçonnait-il sa femme ? Celle-ci s’était posé cette question, avec épouvante, quand son mari lui avait parlé de quitter Paris si impérativement. À cette minute, elle ne pensait plus à ce soupçon possible. La jalousie l’occupait tout entière. Que l’on commençât d’inviter les deux jeunes gens ensemble dans le monde, comme ce soir, cela prouvait que leur flirt était connu et reconnu. Jusqu’où était-il poussé ? Cécile était légère. Elle était libre, Machault se trouvant retenu aux États-Unis pour un assez long temps, par de grosses affaires industrielles. On comprend pourquoi Odette avait interrogé son mari sur la composition de ce dîner, et quelle menace lui représentait le départ de Paris, outre la tristesse d’une volte-face totale d’existence. C’était perdre celui qu’elle aimait, et le perdre en l’abandonnant à une autre.

« Elle l’aura ramené dans son automobile, songeait-elle. Pour que je ne le sache pas, elle aura attendu que Géraud ne fût plus là. »

Elle les voyait, sa hardie rivale et l’inconstant amant, assis dans la rapide voiture. Elle voyait les yeux gris — couleur de saphir étoile, — de Cécile, son frais visage potelé, ses cheveux blonds, sa nuque voluptueuse, et dans les prunelles noires de Xavier cet éclair de désir qu’elle connaissait si bien, et qui lui brûlait le cœur, chaque fois qu’elle le rencontrait. Mais Cécile était-elle la maîtresse de Larzac ? Y avait-il entre eux autre chose que la camaraderie, un peu trop intime, encore innocente