Jeudi, 5 août 1914.
Du modeste cottage d’Alexandria, je me rends au somptueux palais de Znamenka, qui est tout proche et où réside le Grand-Duc Nicolas.
Le généralissime me reçoit dans son vaste cabinet, dont toutes les tables sont couvertes de cartes étalées. A grands pas rapides et résolus, il s’avance vers moi et, de même qu’il y a trois jours au Palais d’hiver, il m’étreint jusqu’à me broyer les épaules :
— Dieu et Jeanne d’Arc sont avec nous, s’exclame-t-il. Nous aurons la victoire !… N’est-ce pas providentiel que la guerre ait éclaté pour une si noble cause ? que nos deux peuples aient répondu à l’ordre de mobilisation avec un tel enthousiasme ? que les circonstances nous soient si propices ?…
Je me hausse de mon mieux à ce ton de grandiloquence militaire et mystique, dont la forme naïve ne m’empêche pas de sentir l’inspiration généreuse ; je me garde pourtant d’invoquer Jeanne d’Arc, puisqu’il s’agit aujourd’hui, non pas de « bouter les Anglais hors de France, » mais de les attirer dedans et le plus vite possible. Sans transition, j’aborde la question, grave entre toutes :
— Dans combien de jours, Monseigneur, ordonnerez-vous l’offensive ?