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sensibilité ; il s’applique moins à comprendre qu’a pressentir et à deviner. Le plus souvent, il n’agit que par intuition, par routine, par soumission.

Dans l’ordre religieux, sa foi est contemplative, rêveuse, visionnaire, emplie d’espérances vagues, de craintes superstitieuses et d’attentes messianiques, toujours eu quête d’une communication directe avec l’invisible et le divin.

Dans l’ordre politique, la notion des causes efficientes lui manque totalement. Le tsarisme lui apparaît comme une entité métaphysique. Il attribue au Tsar et à ses ministres une vertu intrinsèque, un dynamisme propre, une sorte de pouvoir magique pour gouverner l’Empire, corriger les abus, opérer les réformes, établir la justice, etc. Par quelles mesures législatives, par quel mécanisme administratif peuvent-ils y arriver ? C’est leur affaire et leur secret.

Enfin, dans sa vie passionnelle, il se sent dominé constamment par des forces étrangères qui le mènent à leur gré. Pour s’excuser de ses erreurs et de ses fautes, de ses vertiges et de ses capitulations, il a coutume d’alléguer la malchance, la fatalité, les mystérieuses influences de l’au-delà, souvent même le satanisme et l’ensorcellement.

Une telle conception n’est guère favorable à l’effort personnel et responsable, à l’action virile et prolongée. C’est pourquoi le Russe nous étonne si souvent par sa nonchalance, par son inertie expectante, par son quiétisme passif et résigné.

Inversement, et pour peu qu’on sache parler à son âme, il est capable des plus beaux élans comme des plus héroïques sacrifices. Et toute son histoire prouve qu’il ne s’abandonne jamais, quand il se sent commandé…


MAURICE PALÉOLOGUE.