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attentifs se tournèrent vers lui), les principes étaient souvent des plus élastiques. Si vous demandiez d’où venait la fortune de Morny, ou qui payait les dettes de certaines beautés de la cour…

— Vous ne prétendez pas, j’espère, mon cher Sillerton, que nous prenions exemple ! dit Mrs Archer.

— Je ne prétends rien, répliqua Mr Jackson. Mais l’éducation étrangère qu’a reçue Mme Olenska peut l’avoir rendue moins scrupuleuse.

— En effet ! soupirèrent les deux dames d’âge.

— Tout de même ! faire stationner la voiture de sa grand’mère à la porte d’un banqueroutier, protesta Mr van der Luyden. Archer devina que celui-ci se reprochait les bottes d’œillets qu’il avait envoyées à Mme Olenska.

Mrs van der Luyden ajouta :

— Si seulement elle avait demandé conseil…

— Ah ! voilà ce qu’elle n’a jamais fait ! reprit Mrs Archer.


À l’Opéra, comme le premier acte finissait, Archer quitta sa famille pour aller dans la loge du cercle. De là, par-dessus les épaules de divers Chivers, Mingott et Rushworth, il voyait la salle telle que deux ans auparavant, le soir de sa première rencontre avec Ellen Olenska. Il croyait qu’elle allait peut-être apparaître dans la loge des Mingott ; il l’attendait, les yeux fixés sur la loge, qui demeura vide. Tout à coup éclata le pur soprano de Mme Nilsson : — « M’ama, non m’ama. » Archer se tourna vers la scène où, dans le décor accoutumé de roses géantes et de pensées-essuie-plumes, la même opulente et blonde victime succombait aux artifices du même petit séducteur basané. Quittant la scène, les yeux d’Archer vinrent se poser sur la loge où May était assise entre deux dames plus âgées, exactement comme entre Mrs Lovell Mingott et la nouvelle arrivée, sa cousine étrangère, deux ans auparavant. Elle était, de même, tout en blanc et Archer reconnut le satin à reflets bleutés de sa robe de mariée.

C’était l’usage, dans le vieux New-York, que les jeunes femmes revêtissent ce somptueux ajustement pendant un an ou deux après leur mariage. Sa mère, Archer le savait, conservait sa robe de noces enveloppée de papier de soie, avec l’espoir que Janey la porterait peut-être un jour ; mais la pauvre Janey approchait d’un âge où il convient de se marier en popeline