Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai quinze mille francs chez Labusse, six mille
Chez Blanche, hypothéqués sur sa maison de ville…

et le vers fameux :

Fais-lui faire, tu sais, ce ragoût au fromage

n’est mis là que pour répondre à cet autre :

Vous êtes mon lion, superbe et généreux.

Voilà pour le mari. La femme lisait un roman ; il est de George Sand, c’est certain, et immédiatement avant la demande de Julien :

Hors chez nous, où voit-on
Chemise de mari n’avoir pas un bouton ?

Gabrielle, l’épouse, aura rêvé tout haut de nuits étoilées, de clairs de lune et de folles étreintes :

O nature immortelle,
Pénétrantes senteurs de la feuille nouvelle.
…. Nous nous enivrerions d’amour et de silence
Etc..

Voilà pour la femme. L’amoureux ne sera pas, dans son langage, moins significatif. S’il ramasso sur le parquet une rose qui vient du corsage de Gabrielle, il rugira :

Certes, j’aimerais mieux qu’elle me fût tombée
Dans la lice, parmi les taureaux furieux…

Il jouira du prestige d’un coup d’épée reçu au bras, dans un duel où il aura défendu l’honneur de celle qu’il aime, cet honneur même qu’il s’emploie à lui faire perdre. Pour vaincre les hésitations de cette femme, il emploiera les périodes d’Antony :

… L’avenir dont tout le monde nous flatte.
A la tranquillité d’une eau dormante et plate
Mieux vaut la pleine mer avec ses ouragans,
Ses superbes fureurs, ses flots extravagants
Qui vous font retomber du ciel jusqu’aux abîmes
Pour vous lancer du gouffre à des hauteurs sublimes.
Les bonheurs négatifs sont faits pour des poltrons.
Nous serons malheureux, mais du moins nous vivrons !

Pour un peu, déjà, il parlerait de vivre sa vie, Gabrielle,