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Puis, il me communique des télégrammes expédiés le 30 et le 31 août par le colonel Ignatiew, attaché militaire au Grand Quartier général français, et dont chaque phrase entre en moi comme un coup de poignard : L’armée allemande, tournant le flanc gauche de l’armée française, s’avance irrésistiblement sur Paris, par étapes moyennes de 30 kilomètres… A mon avis, l’entrée des Allemands à Paris n’est plus qu’une question de jours, attendu que les Français ne disposent pas de forces suffisantes pour exécuter une contre-attaque contre le groupe tournant, sans risque d’être coupés des autres armées… Il reconnaît heureusement que l’esprit des troupes reste excellent.

Sazonow me demande :

— N’y a-t-il donc pas moyen de défendre Paris ?… Je croyais que Paris était si solidement fortifie !… Je ne peux pas vous cacher que la prise de Paris ferait ici un effet déplorable… surtout après notre malheur de Soldau ; car on finira bien par savoir que nous avons perdu 110 000 hommes à Soldau.

Reprenant les télégrammes du colonel Ignatiew, j’en conteste de mon mieux les conclusions ; je soutiens que le camp retranché de Paris est fortement armé ; j’affirme que le caractère du général Gallieni nous garantit l’opiniâtreté de la résistance.

Un ukase, signé hier soir, a statué que la ville de Saint-Pétersbourg s’appellera désormais Petrograd. Comme manifestation politique, comme protestation du nationalisme slave contre l’intrusion germanique, la mesure est aussi démonstrative qu’opportune. Mais, au point de vue historique, c’est une erreur. La capitale actuelle de l’Empire n’est pas une ville slave ; elle ne résume qu’un passé récent de la vie russe ; elle est située dans un pays finnois, aux portes de la Finlande où domina si longtemps la culture suédoise, aux confins des Provinces baltiques où domine encore l’influence allemande ; son architecture est tout occidentale ; sa physionomie est toute moderne. Et c’est précisément ce que Pierre le Grand a voulu faire de Saint-Pétersbourg : une ville occidentale et moderne Le nom de Petrograd n’est donc pas seulement une erreur, mais un contre-sens historique.