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s’occupait des soins du ménage auprès de sa mère, excellait à coudre et à filer, allait à la charrue, sarclait, bêchait, moissonnait, aimait tous les travaux de la campagne. Cette guerrière ne fait la guerre que pour assurer la paix. Elle disait que sa bannière lui était quarante fois plus chère que son épée, et qu’elle la portait à la main en marchant à l’attaque, pour éviter de tuer personne. Après l’apothéose de Reims, toute la grâce qu’elle demande au Roi qu’elle vient de faire couronner, c’est qu’il la laisse s’en retourner dans son village, auprès de sa mère et de ses parents, prendre sa part de l’œuvre de reconstruction. Déjà, dans son armée, elle se plaisait à grouper autour d’elle les gens du commun ; ils se fiaient à elle et presque sans solde faisaient le gros de sa force ; elle les disciplinait et organisait leurs efforts, au point « qu’on admirait en elle la sagacité et la prévoyance d’un vieux capitaine. »

Cette harmonie qui existe entre Jeanne et les gens du Rhin, ces concordances de leurs sentiments, ces affinités de leurs aspirations, ce pouvoir qu’elle possède de les intéresser et de les hausser, d’enchanter leur imagination et de diriger leurs élans, l’ont-ils ressenti dès la première heure ? Ont-ils reconnu tout de suite que ses vertus la désignaient pour être une sorte de patronne secrète de leur pays ? C’est un fait qu’ils la vénèrent dès son apparition sur la scène de l’histoire, — un grand fait lumineux, qui donne appui et force aux innombrables petits faits qu’au cours de cette longue analyse nous avons coordonnés.

Dès l’aube de sa mission, Jeanne fut aimée avec ardeur des Rhénans. L’avènement de cette jeune fille, sous les pas de qui naissaient les merveilles, qui prêchait l’union sacrée et dissipait le cafard de la France, suscita dans l’univers entier, dès l’année bénie de 1429, le plus violent frisson d’enthousiasme ; d’Edimbourg à Constantinople, de Lubeck à Venise (nous en avons les textes), on ne s’entretenait que de son miracle, et le pèlerin français Bertrand de La Brocquière en recueillait des nouvelles en Terre Sainte ; mais il n’y a pas d’endroit au monde où l’on crut en elle avec plus d’ardeur amicale que dans les pays rhénans.

Les Rhénans ont cru en Jeanne avant qu’elle eût donné son signe, avant son Roi, avant la France. Et cette croyance a pris toutes les formes de la chronique rimée, du roman, du drame, des légendes et des images.