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verbe lui suffisait. La destinée, pour lui, c’était de découvrir un texte curieux, de le publier, de le commenter copieusement. Ses jours s’écoulaient ainsi, dans les petites chambres de son petit appartement, tout encombrées de livres écroulés les uns sur les autres, mais qui n’en étaient que mieux à la portée de sa main. Je le vois encore, content de peu dans l’ordinaire de la vie, se nourrissant d’un morceau de fromage et d’un quignon de pain sur le coin du délicieux trictrac Louis XVI qui lui servait à la fois de table et de bureau. Ce fureteur, ce curieux, cet artiste était aussi un poète. En pensant à lui, je retrouve un je ne sais quoi d’Heredia, — qui, lui aussi, fut de l’École des Chartes et qui reste sa parure, — bien entendu, sans la grâce souveraine ni la flamme du génie. Dans ces après-midi du dimanche que j’allais passer chez Montaiglon, tandis que les derniers rayons du soleil caressaient l’or de ses reliures, il me lisait, de sa voix cassée, des vers, — des vers un peu vieillots, des vers d’avant les sujets de pendule, des vers de la suite du chevalier de Parny, des Odes à Glycère. L’homme était si candide, si sincère, tellement satisfait de son modeste sort, son érudition immense était si toute a tous, il aimait d’un si bel amour l’aimable étude, il avait tant d’esprit et du meilleur et du plus fin, qu’après avoir ri de ce qui le faisait rire et un peu de lui-même, on ne pouvait lui résister.

C’était un survivant du xviiie siècle, légèrement teinté de romantisme. Peut-être avait-il connu Chènedollé, Fontanes, peut-être André Chénier ; car, de l’ancienne France il connaissait tout le monde. Ce gentilhomme marchait de plain pied dans toute notre histoire. Son affaire étant, maintenant, de nous dire à nous, jeunes gens, ce qu’il avait vu, vécu, connu au cours des âges, il nous le transmettait comme il se fait du père aux enfants ou de l’oncle aux neveux. C’était cela son enseignement. Son existence coulait ainsi très douce. Il savait bien qu’il ne mourrait pas, — pas plus que le passé qui durait en lui. Donc, joyeux, plaisant et éternel !… Quel délicieux professeur !


Avec de tels maîtres, l’École des Chartes forma des hommes. Je me suis arrêté devant ceux-ci parce que je les ai plus particulièrement approchés. Leurs traits suffisent pour marquer le large esprit d’indépendance et de tolérance cordiale qui fut la marque spéciale de ce monde peu connu, réservé et clos. Ils