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Sur notre vieux bateau, courant vers tous les phares,
Pointant sans aborder vers tous les horizons,
L’un à l’autre rivés par d’obscures raisons,
Moi le Désir, et toi l’Ennui, marins bizarres,

Nous roulerons sans fin du ponant au levant,
Jusqu’à ce qu’une nuit de calme et de mystère,
Nous sombrions ensemble à dix brasses de terre,
Par une mer sans fond, sans astres et sans vent…


LE PÈLERINAGE.


Il voulut tout revoir…
N’existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
V. HUGO (OLYMPIO).


Par un été semblable aux étés d’autrefois
Où l’air pâmé tremblait aux bras de la lumière,
Nous avons retrouvé la plage hospitalière
Qui vit notre amour rire à ses premiers émois…


* * *


Nous avons tout revu : les lieux et les visages ;
Les toits bruns, les murs gris, les rauques matelots ;
La courbe immensité des mouvants paysages
Où le chant des glaneurs se mêle au chant des flots ;

Les bateaux qui, heurtant leurs tolets et leurs dames,
Dansaient au petit port sur l’escalier de fer,
Et qui, comme jadis, semblaient tendre leurs rames
Pour nous bercer aux bras du fleuve ombreux et vert ;

Le lavoir, scintillant parmi ses quatre pierres,
Que polit, chaque soir, le pied glissant des bœufs ;
La dune au sable d’or qui brûle les paupières ;
Le puits de granit rose entre les chardons bleus ;

L’arbre tordu des vents qui geint sur la falaise ;
La chapelle romane où trône un saint de bois ;
Le creux de roc moussu d’où, nous lovant à l’aise,
Nous regardions tourner les feux rouges de Groix…