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il eut une joie incroyable lorsqu’il vit les premiers vers que son fils composa (Incroyable, en effet : on a rarement vu un père de famille en de pareilles dispositions). Ces vers se ressentaient, comme la plupart de ceux qu’il a faits depuis, de la lecture de Rabelais et de Marot qu’il aimait et estimait infiniment. » Cette première version de la vocation poétique de La Fontaine est vraisemblable. Cependant l’abbé d’Olivet en donne une autre : « Il avait vingt-deux ans, dit-il, qu’il ne se portait encore à rien, lorsqu’un officier, qui était à Château-Thierry en quartier d’hiver, lut devant lui, par occasion et avec emphase, une ode de Malherbe. Il écouta cette ode avec des transports mécaniques de joie, d’admiration et d’étonnement. Ce qu’éprouverait un homme né avec de grandes dispositions pour la musique, et qui, après avoir été nourri au fond d’un bois, viendrait tout d’un coup à entendre un clavecin bien touché, c’est l’impression que l’harmonie poétique fît sur l’oreille de M. de La Fontaine. Il se mit aussitôt à lire Malherbe, et s’y attacha de telle sorte qu’après avoir passé des nuits à l’apprendre par cœur, il alla de jour le déclamer dans les bois. Il ne tarda pas à vouloir l’imiter ; et ses vers, comme il nous l’apprend lui-même, furent dans le goût de Malherbe. » Tâchons de mettre d’accord Perrault et d’Olivet : dès l’Oratoire, nous l’avons vu, La Fontaine lisait des poètes, et il est très probable que, pour les imiter, il n’attendit pas jusqu’à vingt-deux ans ; mais on peut admettre qu’à cet âge-là il eut, par hasard, la révélation du lyrisme de Malherbe.

Ses premiers maîtres furent en réalité Marot et Voiture. A soixante-six ans, il écrit à Saint-Evremond :


J’ai profité dans Voiture ;
Et Marot par sa lecture
M’a fort aidé, j’en conviens.


Et il ajoute : « J’oubliais Maître François (Rabelais) dont je me dis le disciple, aussi bien que celui de maître Vincent (Voiture) et celui de maître Clément (Marot) [1]. » Disciple fervent et obéissant, car de toutes ses fibres il tient à la vieille lignée gauloise, grivoise et moqueuse qui, depuis les farces et les fabliaux du moyen âge, s’est perpétuée jusqu’à lui.

  1. Lettre à M. de Saint-Évremond, 18 dé-cembre 1687.