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VI. — LE VOL DE L’AIGLE

L’Inconstant, après l’accident qui lui était arrivé, était entré dans le port pour être visité et réparé. Je ne me rappelle pas qu’il soit sorti du port avant le 26 février, jour du départ de l’Empereur pour la France. Dès qu’il avait été remis en état, on avait transporté à son bord des caisses d’armes et beaucoup d’autres objets, aujourd’hui une chose, demain une autre, et ainsi de suite, de sorte que le brick se trouva chargé et approvisionné, sans que les gens du port, les habitants de la ville, les soldats, soupçonnassent la moindre chose des projets futurs de l’Empereur. Pour mon compte, rien jusqu’alors n’avait attiré mon attention, bien que Sa Majesté allât assez fréquemment faire le tour de son brick. Mais ce qui, plus tard, me donna à penser, ce furent les courses que je fis à Longone auprès du colonel Germanowski et à Rio auprès de M. Pons, et quelques mots ou phrases échappés à l’Empereur devant moi. Toutes ces choses réunies me portèrent à croire que l’Empereur avait en tête quelque projet. Ce qui vint ensuite accroître et fortifier ce qui n’avait été d’abord qu’une simple supposition, ce fut l’embarquement de deux petites pièces de canon avec leurs avant-trains et des caissons. Peu de personnes du dehors étaient dans la confidence, et si quelques-unes de celles qui étaient dans l’intérieur eurent connaissance de quelque chose, c’est qu’il est difficile qu’un homme, quel qu’il soit, se cache complètement aux yeux de ceux qui constamment sont autour de lui et [qu’ils] ne le devinent, à la moindre de ses actions, par ses gestes, ses regards, etc.. Ce qu’il y a de certain, de positif, c’est que le secret a été si bien gardé que l’époque de l’expédition est arrivée sans que dans le public de l’île et même dans la garnison, on ait eu l’idée de soupçonner jusqu’au dernier jour le projet que l’Empereur nourrissait depuis longtemps.

Quelques jours avant le 26 février, l’Empereur avait fait donner l’ordre à la Garde de faire un jardin d’un terrain inoccupé attenant à la caserne dans la partie Ouest. Ce terrain fut pioché, défoncé, nivelé, les allées tracées et les arbres plantés. Quoique ce travail fut assez considérable, il fut fait en trois jours. Quand l’Empereur demandait quelque chose à ses soldats, il n’y avait jamais de paresseux : tout le monde, sans distinction,