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Presque ! tout l’homme est là. Et il dessine de lui-même un portrait dont la ressemblance est si frappante que jamais on ne peindra mieux La Fontaine. Quelle image du poète vaudra celle-ci ?


Je m’avoue, il est vrai, s’il faut parler ainsi,
Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles
A qui le bon Platon compare nos merveilles :
Je suis chose légère, et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet ;
A beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire.
J’irois plus haut peut-être au temple de Mémoire,
Si dans un genre seul j’avois usé mes jours ;
Mais quoi ! je suis voyage en vers comme en amours.


Il se résigne donc à subir la loi de son humeur :


Je ne prétends ici que dire ingénument
L’effet bon ou mauvais de mon tempérament.
……….
Tel que fui mon printemps, je crains que l’on ne voie
Les plus chers de mes jours aux vains désirs en proie.


Il distingue clairement la route où son amie voudrait l’engager : il faudrait commencer à vivre.


Qu’est-ce que vivre, Iris ? vous pouvez nous l’apprendre.
Votre réponse est prête ; il me semble l’entendre :
C’est jouir des vrais biens avec tranquillité ;
Faire usage du temps et de l’oisiveté ;
S’acquitter des honneurs dus à l’Être suprême ;
Renoncer aux Philis en faveur de soi-même ;
Bannir le fol amour et les vœux impuissants,
Comme hydres dans nos cœurs sans cesse renaissants.

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C’est là-dessus que finit la confession. La Fontaine publiera de nouveaux contes ; il restera « volage en vers comme en amours ; » il ne renoncera pas aux Philis ; quant aux « honneurs dus à l’Etre suprême, » huit années encore passeront avant qu’il songe à s’en acquitter.


ANDRE HALLAYS