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réprouve pas, et elle n’a aucun des goûts qui lient l’âme à la nature. Elle est étrangère et elle est citadine. Si jamais maintenant le poète réalisait avec elle l’union naguère souhaitée, ce serait par gratitude ou par devoir, avec l’intime conviction d’avoir manqué sa vie.


XIII

Et voici que, sa sœur aidant, il a découvert la Lucy nouvelle autant qu’il est possible à une autre femme de renouveler le miracle d’une apparition aimée à l’aurore de la jeunesse et divinisée par la mort. Il l’avait bien oubliée, cette Mary Hutchinson qui avait été sa compagne à l’école enfantine de Penrith et qu’il avait revue avec plaisir au même lieu pendant ses grandes vacances de 1789. Dans la suite, Annette l’avait longtemps chassée de sa pensée. Dorothée elle-même dont elle était la camarade l’avait négligée pour sa grande amie miss Pollard. Mais miss Pollard est maintenant mariée et le souvenir d’Annette va s’effaçant par le temps, l’éloignement et le silence. Dorothée, pour qui tout cède au devoir de protéger le génie de son frère, appelle Mary à Racedown où elle passera le printemps de 1797, sans d’ailleurs beaucoup voir le poète dont les absences sont alors fréquentes. C’est après le voyage d’Allemagne et les poèmes à Lucy que William semble s’être convaincu que le bonheur de sa vie serait dans le mariage avec la douce et calme jeune fille, toute anglaise celle-là et ayant le goût et l’usage de la vie rustique. En mai 1800, il va la voir dans la ferme du Yorkshire où elle vit avec sa famille et à son tour elle viendra passer l’hiver de 1801-1802 à Dove Cottage, l’humble maisonnette de Grasmere dans le pays des lacs, où Wordsworth et Dorothée se sont fixés avec le siècle commençant. Entre temps, le poète a adressé à Mary une véritable déclaration, car de quel autre nom appeler le poème à M. H, écrit et publié dès 1800 ?

Il a dans une promenade sous les bois trouvé délicieuse une clairière secrète, faite d’une pelouse et d’un minuscule étang. Le lieu est abrité contre l’ardeur du soleil et la violence du vent. Cette paisible retraite s’est aussitôt associée dans son esprit à la pensée reposante de Mary. Les voyageurs ignorent cet asile de paix :