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faire voir tout à l’heure et mon peu d’humeur s’est fondu dans mon immense et inaltérable affection pour toi, où il serait bien impossible d’en retrouver la moindre trace à présent.

« Tu oublies trop et trop vite, dans la vie tranquille et commode de la famille et de la province, les embarras de la vie parisienne. Il faut trois, quatre jours ici pour faire ce que tu fais là-bas en trois heures. Tu ne songes pas, mon bonhomme, que je n’ai pas comme toi l’habitude d’écrire ; — tu dissèques mes mots sans penser que, lorsque le mot juste ne m’arrive pas comme à toi pour exprimer ma pensée, et c’est très fréquent, je suis obligé d’en employer un approchant ; alors, tu en forces le sens qui dévie un peu déjà à tomber dans le fossé de tes craintes. Voilà ce qui arrive quand je parle, c’est déjà arrivé pour Péril quand je t’ai écrit par le télégraphe. Cela arrivera encore, et cela arrive peut-être en ce moment si tu n’es pas raisonnable ; quand je me tais, c’est la même histoire, et tu obliges mon silence à renforcer ta crainte principale. Hier, ce silence était : La petite Comtesse est tombée dans le vide ! Mais, misérable ! je la porte sur mon cœur. Elle voudrait tomber qu’elle ne pourrait pas. Et tu ne supposes pas un instant que mes paroles veulent dire le bien et non le mal, et que mon silence peut être attribué à toute autre cause que celle que tu lui donnes. Tu n’as pas surtout la moindre patience, pas la moindre idée de l’emploi de mon temps et de celui des autres. »

Et il cite l’opinion de vingt personnes qui ont lu la Petite Comtesse avec ravissement. Lui-même, qui la voudrait relire, ne peut remettre la main sur le numéro de la Revue qu’il a prêté. Il revient sur cet incident fraternel dans une lettre qu’il écrit le surlendemain à son père, sans doute après avoir reçu d’Octave une nouvelle missive : « Tu sais ce qui est arrivé, mon cher papa : c’est comique et touchant à la fois. Au moment où Octave manifestait pour mon jugement fraternel un respect fort exagéré, au moment où je manifestais, moi ici, à part moi et devant tous, la plus vive admiration pour la dernière production d’Octave ; au moment où, lui et moi, nous nous aimions plus encore que nous nous soyons jamais aimés, voilà que nous nous disions des choses désagréables ! Puis, presque aussitôt, comme d’un même mouvement, nous tombons à genoux tous les deux l’un devant l’autre pour nous demander pardon et nous embrasser. C’est un effet de nerfs. » Mais les nerfs d’Octave sont plus