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est hors de jeu, où la Russie est relativement impuissante, pour réaliser le grand dessein de sa politique orientale : établir définitivement son hégémonie sur les terres et sur les mers qui séparent Malte et l’Egypte de la Perse, de l’Afghanistan et des Indes. « C’est une nécessité pour nous de garder la route des Indes, » voilà ce que les Anglais n’ont cessé de proclamer depuis plus de deux siècles. Seulement, la route des Indes s’est progressivement élargie, jusqu’à planter ses bornes au Caire et à Kartoum, à Bagdad et à Mossoul, à Caboul et à Téhéran, et demain, peut-être, à Smyrne et à Constantinople.

La Russie et l’Allemagne étant écartées pour un temps, l’Angleterre ne se heurtait dans le Levant qu’à une seule Puissance : la France. En 1916, on avait essayé de s’entendre : mais l’accord de Londres apparaissait à beaucoup d’esprits avertis, non seulement provisoire, mais impraticable. Vers 1918, on vit apparaître dans quelques journaux anglais une formule nouvelle : « L’Angleterre laisse à la France les mains libres sur le Rhin, la France laisse à l’Angleterre les mains libres en Orient. » Formule dangereuse et fausse, dont la première partie ne s’est point réalisée, dont la seconde ne saurait se réaliser davantage. En fait, l’Angleterre et la France ont l’une et l’autre des intérêts propres et vitaux à défendre, et sur le Rhin et dans le Levant.

Au début de février 1921, quelques jours avant que se réunît à Londres la conférence interalliée pour les affaires d’Orient, je rencontrai un journaliste anglais très au courant de la politique de son pays, et causai longuement avec lui de la situation créée par l’antagonisme de la France et de l’Angleterre dans le Levant. « La France, me dit-il, ne peut pas être partout. Elle possède dans l’Afrique du Nord un empire magnifique ; que ne se désintéresse-t-elle de la Méditerranée orientale ? » Je répondis que la France pouvait ne point aspirer dans cette région à des conquêtes nouvelles, mais qu’il lui était impossible de renoncer aux positions acquises, à l’influence établie, aux droits et aux intérêts reconnus. Il répartit : « Ecoutez : les Turcs sont finis, c’est une nation dégénérée, exténuée, incapable de résister et de survivre aux derniers coups dont elle vient d’être frappée. Si les Grecs attaquent vigoureusement la Turquie, elle succombera pour toujours. Que vous le vouliez ou non, l’Empire ottoman est mort, et le moment est venu de régler sa succession.