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tragique. L’histoire de ce poème éclaire d’une vive lumière la biographie spirituelle de son auteur et son mode de travail ; il vaut la peine d’en retenir quelques détails précis.

La première fois que don Miguel me parla du Christ de Velazquez, ce fut le 17 août 1911 : je pourrais presque dire à quelle heure, et l’on va voir pourquoi.

J’étais allé cette année-là avec Unamuno et un ami français, au sanctuaire de Notre-Dame de France, qui se trouve au sommet de la Peña de Francia, à quinze lieues environ au Sud-Ouest de Salamanque ; nous avions passé quelques journées dans la plus pure sérénité, dans la plus magnifique lumière qui se puisse voir et respirer, chez les excellents Dominicains qui gardent le sanctuaire fondé au XVe siècle, par le Français Simon, surnommé Vela. Pour le 15 août nous étions descendus au village de la Alberca qui, au pied de la montagne de France et non loin du ruisseau de France, conserve au milieu de l’été (à plus de mille mètres d’altitude et à l’exposition au Nord) la délicieuse fraîcheur de ses châtaigneraies. Mais ce qui, ce jour-là nous attirait surtout, c’est que ce très pittoresque village conserve de belles traditions de siècles qui sont ailleurs lointains. Le lendemain de l’Assomption, sur la place de l’Église, après la grand’messe, des hommes du pays jouent deux pièces : la première est composée par un Albercano sur un thème consacré qui laisse peu de place à la fantaisie individuelle : c’est la lutte du protestantisme et du catholicisme ; la seconde est quelque chef-d’œuvre populaire. L’après-midi a lieu sur la place publique une capea, course de taureaux, telle qu’on peut l’organiser au village, où l’on houspille assez longtemps l’animal, qui ne doit être mis à mort que le lendemain.

Don Miguel n’avait abandonné la splendeur et la paix religieuse de la Peña que pour la traditionnelle représentation du 16 août. Il consentit encore à voir le premier acte de la capea, mais, le matin de la mise à mort, nous quittâmes la Alberca. Chacun portait en un petit paquet les objets indispensables dans le plus rustique des déplacements ; nous n’avions voulu distraire de la fête personne, et, moins que toute autre personne, notre bon guide le tio Ignacio. Nous ne pûmes d’ailleurs empêcher celui-ci de nous engager dans le chemin serpentant qui est le plus court chemin de la Alberca à Arroyo Muerto. Nous devions, au bout de trois ou quatre lieues, attendre à proximité de ce village