Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chante avec ses compagnes, je sais telle phrase, moins que cela, tel accord d’orchestre, mineur, aussi distingué que le majeur serait vulgaire, qui vient ennoblir toute cette gaîté et révéler en ces femmes d’esprit des femmes de bien.

Victor Cherbuliez disait de Mozart, du Mozart des Noces de Figaro, qu’aux grelots de la comédie de Beaumarchais il a mêlé des clochettes d’or. Elles tintent également dans ce Falstaff où la musique a fait au sentiment et à la poésie leur place. L’une et l’autre, au cours de l’action, nous ménagent des haltes et comme des repos délicieux. Alors nous reprenons haleine, alors nous nous abandonnons à la douceur, à la langueur du rêve. Alors un ordre, un monde nouveau se dévoile. Ainsi quand cette course ou cette chasse à l’homme, au gros homme, qu’est le finale du second acte, semble toucher au but, lorsque l’ardeur, la rage des poursuivants se trouve à son faîte montée, brusquement elle tombe. Un profond silence, un grand vide se fait. L’orchestre, les voix, le rythme, tout se détend et s’apaise. De souples triolets s’étalent mollement, comme les jupes que les commères déploient devant le panier où Falstaff, qui s’y est blotti, suffoque et gémit tout bas. Nous, du moins, nous respirons un moment et ce moment délicieux, la musique l’arrête et s’y complaît. Derrière un paravent qui les cache eux aussi, le chant des deux petits amoureux s’élève, et ce chant est d’une pureté, d’une tendresse exquises. Entre l’allégro qui s’achève à peine et celui qui bientôt va reprendre, ou repartir, c’est l’andante de la symphonie.

Bientôt à la haute bouffonnerie succédera la poésie ailée. Il ne lui faut qu’une occasion, moins encore, un prétexte pour qu’elle prenne son vol. A la nuit tombante, que préparent donc ensemble nos quatre espiègles commères ? Une nouvelle et plaisante équipée, une scène fantastique où par elles encore, cette nuit même, dans le parc royal, Falstaff, amoureux et non moins poltron, sera mystifié derechef et décidément confondu. Rien de gracieux comme ces légers apprêts d’une féerie légère, comme les propos qu’échangent à mi-voix, dans l’ombre, ces jeunesses charmantes. Tantôt entre leurs voix seules, tantôt entre l’orchestre et leurs voix, le dialogue musical se partage : murmures à fleur de lèvres, orchestre plus que discret, où tel instrument isolé, quelques notes de cristal, de mystérieux accords, des arpèges limpides, plutôt que de se concerter se répondent, faisant régner dans les silences mêmes une sorte de clair-obscur sonore. Sous les appels féminins de plus en plus espacés et lointains, de subtiles harmonies se dégradent et finissent