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seulement comme couleur, mais même comme architecture.

Sur ses quatre côtés, elle est environnée d’édifices rococo : le municipe qui fait vis-à-vis à un palais de style fleuri, l’église San Giuseppe dei Teatini, en face de Santa Caterina, dont les hautes murailles, tout en briques rouges, sont d’une chaleur de tons extraordinaire. L’ensemble est couronne par les dômes des deux églises, — la coupole blonde de San Giuseppe, la coupole mauve de Santa Caterina. Les jolies couleurs ! Comme tout cela est gai sous le soleil sicilien, au bruit frais des fontaines qui s’égouttent au milieu de la place ! Ces fontaines, avec leur bassin central, leurs auges et leurs cuvettes, leurs vasques superposées, forment une grande composition, toute en marbre blanc, qu’une série de marches exhaussent au-dessus du niveau de la rue. Un peuple de figures grotesques et mythologiques se contorsionne ou prend des poses au bord des bassins et des balustres. Ce ne sont que Naïades, Tritons souffleurs, monstres marins, conques et coquillages, statues de fleuves allongés parmi les herbes aquatiques et les aigrettes de paon des papyrus. Devant cette surcharge, ce grouillement de formes bestiales et divines, la décoration extérieure des deux églises parait plutôt sobre pour du baroque. Mais une végétation à la Piranèse, qui a pris racine tout le long des corniches et qui s’échevèle jusque sur les frontons, prête un air follement romantique à ces vénérables bâtisses. Une espèce de temple de Vesta juché sur une ancienne tour de San Giuseppe et dont le toit, en chapeau chinois, repose sur des colonnes torses, aux bases fleuries de guirlandes, achève la physionomie un peu saugrenue de cette bizarre et charmante petite place.

La décoration intérieure des deux églises vise à rappeler celles des salons, des boudoirs et même des salles de spectacle, telles qu’on les concevait au XVIIe et au XVIIIe siècle. A San Giuseppe, la nef principale est d’un très bel et très heureux effet, avec ses colonnes corinthiennes, dont quelques-unes doivent être de provenance antique. Comme proportions, c’est élégant et grandiose à la fois. Mais comment rendre la fantaisie, la fioriture et le mouvement qui animent ces belles lignes architecturales ? Sur les murailles sont peintes de fausses fenêtres qui semblent des loges de théâtre ou des avant-scènes, avec leurs rideaux gonflés par le vent, leurs glands d’or et leurs cordelières. De chaque côté de la grande porte, à la place des bénitiers, des