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l’adorer ! car, ne vous y trompez pas, elle ne l’aime ensuite que par réminiscence ; elle l’aime riche, pour le bien qu’elle lui a fait pauvre ; est-il petit quand il a des millions ! Avez-vous mesuré la peau de chagrin depuis que votre appartement a été renouvelé ? depuis que votre cabriolet si moderne vous ramenait tous les jours à deux heures de la nuit de la rue du Bac [1] ?

Pourquoi je vous ai envoyé à Aix, Honoré ? Parce que là seulement il y avait ce qu’il vous fallait. Une affection virile (passez-moi le terme) née d’une âme forte, à qui rien sur la terre n’est indifférent, qui a un sentiment pour tout, qui comprend toutes les misères et ne répugne à la sympathie d’aucune, qui. vivant avec délices dans une atmosphère toute de parfums, supporte l’odeur d’ail sans déplaisir, ne vous convient pas. Vous voulez une femme aux formes fugitives, aux manières enivrantes, vrai type d’élégance, et vous espérez dans cette enveloppe satinée une âme large et colorée. Cela ne se peut. Ces dehors si ravissants veulent, pour être d’abord perfectionnés, puis ensuite conservés, l’application totale de l’intelligence ? Que restera-t-il pour les sciences morales, quand celle du monde aura tout pris ? car le jour n’a que vingt-quatre heures. Que restera-t-il pour les rêves élevés, qui récrépissent continuellement l’âme, quand des rêves de velours auront tout absorbé ? Il faut vouloir les conséquences de ses goûts. Je vous ai laissé aller à Aix, parce que pas une pensée ne nous est commune ; parce que je méprise ce que vous déifiez, parce que je n’arriverai jamais à concevoir que celui qui a une gloire toute faite veuille la sacrifier à de l’argent. Vous êtes à Aix, parce que vous devez être acheté à un parti [2], et qu’une femme est le prix de ce marché, parce que votre âme est faussée, parce que vous répudiez la vraie gloire pour la gloriole.

Je vous dis bien des duretés, cher Honoré, mais je vous les dis avec confiance, parce que je me sens tellement en fonds de bonne et franche affection, que je puis vous payer de tout ce qu’il y a de trop acerbe ici ; parce que, quand vos duchesses vous manqueront, je serai toujours là, vous offrant les consolations d’une vraie sympathie.

Oh ! Honoré, que n’êtes-vous resté étranger à ce tripotage politique, si pitoyable quand le temps l’éloigne ! Vous, sortir

  1. Lisez : de l’hôtel de la marquise de Castries.
  2. Le parti royaliste dont M. de Fitz-James, oncle de la marquise de Castries, était l’un des principaux membres.