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à ce mot seul, à ce petit mot, une grâce, une tendresse infinies.

La bienfaisance d’une telle musique en égale au moins la généralité, si même elle ne la surpasse. Grillparzer encore s’écriait autrefois ; « Quelque chose, hélas ! s’est perdu : le bonheur de l’innocence ; et ce bonheur, Autriche, fut le tien. » Que dirait-il aujourd’hui ! Voilà justement le bonheur que nous donne l’œuvre de Mozart. Elle est une sorte d’évangile musical. Elle annonce la bonne nouvelle et promet le royaume des cieux. Chaque fois que les trois enfants, pareils à de jeunes lévites, commencent ou recommencent à chanter, — et quelles choses exquises ! — je me souviens de la parole divine : « Si vous ne devenez semblables à eux... » Mozart, avec tout son génie, et par ce génie même, leur ressemble. En lui comme en eux tout est simple, tout est clair, tout est pur, tout est heureux. Et pendant que nous l’entendons, si nous savons l’entendre, tout le devient ou le redevient en nous-mêmes. Plus d’obscurité, plus de doute, plus de trouble. Grâce à lui, sans qu’il ait, comme un Wagner, prétendu résoudre l’énigme du monde, nous sommes tentés de dire avec Bossuet : « Il n’y a plus de question. » Plus de haine non plus, ni de colère. Avec les autres, avec nous-mêmes, nous sommes en paix. Enfin et surtout plus de souffrance. La joie qu’à la fin de sa vie, Beethoven, encore et toujours douloureux, demandait poumons tous, Mozart, près de mourir aussi, nous la prodigue avec son dernier sourire.

L’année qui précéda l’apparition de la Flûte Enchantée et la mort de Mozart (1790), Haydn partit de Vienne pour Londres. Mozart, qui l’aimait, se jeta dans ses bras : « O mon cher papa, s’écria-t-il, ce baiser sera le dernier. Nous ne nous reverrons plus. « Moins d’un an après, quand Haydn apprit la mort de Mozart : « O mes amis, dit-il en pleurant, le monde retrouvera-t-il jamais un pareil artiste ! »

Le monde ne l’a jamais retrouvé.

Lire Polyphème, ou l’entendre, n’est pas une petite affaire. Nous regrettons d’avoir été contraint par des exigences d’imprimerie à fixer notre impression, ou seulement à tenter de le faire après un contact unique avec l’œuvre de M. Cras. Impression de longueur, de pesanteur aussi, mais, à certains moments, de noblesse, de puissance et de poésie. Il y a deux de ces moments-là qu’on aimerait pouvoir arrêter, car ils sont beaux. Après vous avoir conté l’histoire, nous tâcherons.

Le Polyphème d’Albert Samain n’est pas celui de l’Odyssée ; plutôt, à la fin, celui de la fontaine de Médicis. Plus vêtu, mais également