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rive septentrionale du Danube. Le 5 mai, la princesse Dolgorouky vint passer quelques jours avec lui.

A la fin du mois, il fut informé que la date choisie par le grand-duc Nicolas pour le passage du fleuve était le 6 juin et que l’opération s’exécuterait à Simnitza, en face de Svistow.

Il partit le 5 juin.

L’adieu des amants les avait déchirés l’un et l’autre. Ils n’avaient pourtant échangé que très peu de paroles et leurs yeux ne s’étaient pas mouillés de larmes. Leurs grandes émotions étaient toujours muettes, parce qu’elles dépassaient toujours infiniment leurs moyens d’expression. Mais ils s’étaient embrassés dans une longue, dans une interminable étreinte, la bouche sur la bouche, sentant leurs âmes se fondre et s’épuiser comme s’ils allaient mourir...

Accompagné de ses trois fils, les grands-ducs Alexandre, Wladimir et Serge, de son chancelier le prince Gortchakof, de son ministre de la Guerre, le général Milioutine, et de son ancien ambassadeur à Constantinople, le général Ignatiew, l’Empereur arriva le 6 juin à Ploïesti, près de Bucarest.

Une contrariété l’y attendait. Depuis quelques jours, la pluie avait recommencé de tomber à torrents. Le Danube roulait ses flots bourbeux à une hauteur qu’on ne l’avait pas vu atteindre depuis quarante ans et il débordait tout le long de la plaine valaque ; le 7 juin, il dépassait encore de cinq mètres son niveau normal. Le passage, différé de jour en jour, ne put être exécuté que le 27 juin.

L’opération, bien préparée et conduite avec adresse, réussit à merveille. Après un combat très vif, les Russes fortifièrent leur tête de pont sur la rive droite.

L’Empereur franchit aussitôt le fleuve pour aller féliciter ses troupes, heureux de fouler enfin le sol bulgare, le sol de ce peuple slave qu’il venait délivrer au nom de la Sainte-Russie orthodoxe. Puis, repassant sur la rive gauche, il établit son quartier impérial à Simnitza, où les soldats du génie construisaient en hâte un pont définitif.

Les Russes poursuivirent avec un élan magnifique leur succès initial. En quelques jours, ils occupaient toute la ligne de la Yantra, tandis que la cavalerie d’avant-garde, commandée par le général Gourko, s’engageait audacieusement à travers les défilés de la chaîne balkanique. Le 7 juillet, dix jours seulement