Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/696

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laissé par la victoire. Il sera légitime aussi de discuter ce déplaisir et d’en apprécier les arguments.

M. Drieu La Rochelle a publié, pendant la guerre et au lendemain de la guerre, deux recueils de poèmes, Interrogation et Fond de Cantine. Il leur donne ce nom de poèmes. Ce sont des poèmes en prose : il en dispose les phrases ou les bouts de phrases comme des versets de longueur inégale. Poèmes cependant, sinon par le rythme non plus que par la rime, du moins par le style, assez tendu, rigoureux, concis, tout en formules travaillées, recherchées, obtenues. Ce n’est pas une façon d’écrire, à mon avis, la plus recommandable : pourquoi ôter à la prose une aisance, une souplesse et une variété qui la rendent l’expression naturelle, exacte et sûre, de la pensée, si en échange vous ne la menez pas à la pleine musique de la poésie ? Mais l’instrument vaut ce qu’en fait l’ouvrier. M. Drieu La Rochelle tire, de son vers extrêmement libre ou de sa prose un peu contrainte, des effets remarquables. Il y a, dans son langage, une savante rudesse, une spontanéité que la volonté gouverne ; et l’on sent l’artifice : mais, sous l’artifice, on devine l’émoi sincère et la ferveur.

Un sursaut d’énergie ; et l’énergie maîtrise le sursaut. Voici, au commencement d’Interrogation, le prélude mental de la guerre. Deux idées se joignent : le rêve et l’action. Pour le jeune homme qui part, c’est la première fois que se présente l’occasion d’agir, ce qui s’appelle agir, conformément à un grand rêve. Alors, la synthèse ne sera pas accomplie en esprit seulement. Le jeune homme songe, et ses paroles sont des actes qui se préparent : « La totale puissance des hommes, il me la faut. Je ne puis me situer parmi les faibles ; je dois mesurer ma force. Si je renonce, mon cerveau meurt. Je tuerai ou je serai tué. La force est devant moi, pierre de fondation. Il faut que je sente sa résistance, il faut qu’elle heurte mes os... Je veux la comprendre avec mon corps. » Le jeune homme a crié : « Vive la France ! » et crie maintenant : « Vive la guerre ! » il accepte et il glorifie les conditions que le monde impose à un moment nouveau de l’existence. Et il arrive « dans le pays où s’est exilée la jeunesse des hommes pour méditer une douleur neuve et le sens de son effort inconnu. » Il plaint « les habitants de l’arrière, frappés de la mort, coupés de ce temps, précipités au néant. » Il entre, lui, « dans les ordres. » Les ordres ? infanterie, artillerie, génie, aviation. La vie est là ; elle a toute son intensité, confinée au poste d’écoute, comme le zèle monastique dans la cellule.

On aperçoit, dès ce préambule, la réunion, — mais parfaite, heureuse,