Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je chargerai les Anglais pour venger Napoléon ! » Ce petit enfant lut bientôt Marbot, Coignet, Bourgogne et, sans l’avoir voulu, se forma une âme d’héroïsme.

N’est-ce pas vrai ? Oui ! et d’une vérité qui dépasse l’anecdote individuelle de ce garçon. Les jeunes Français qu’a réclamés la guerre en 1914 avaient dans le sang, — nous disons, dans le sang, faute de savoir comment désigner la nature, le caractère et l’essence intime d’un être composé de corps et d’âme, — avaient en eux une ardeur séculaire et qu’il est permis d’appeler napoléonienne, car elle s’était le plus récemment échauffée à l’épopée impériale. L’auteur d’État civil a beau s’écrier : « Soleil d’aujourd’hui, je ne connais que toi ! » il sait que le même soleil se lève sur la continuité de tous les jours et que sa durée unit au présent le passé : il n’est aucun jour qui ne suive la série des jours ; et aucune âme n’est soudaine.

Or, ce même enfant qui, tout petit, se promettait de venger Napoléon sur les champs de bataille, grandit et s’aperçoit qu’il est pourtant le « petit-fils d’une défaite. » Il apprend qu’il y eut naguère, entre l’épopée impériale et lui, Sedan. Et il écrit : « France, mon adolescence t’a aimée douloureusement. Mes parents, vous n’avez pas su vous taire. Une ombre malfaisante couvrait le pays où j’étais né. Toute parole tombait lourdement sur mon cœur. Ils n’ont pas su se taire : il se répandait autour de moi des mots qui contaminent... On m’avait appris à reconnaître tout signe de faiblesse. Les êtres faibles font de la faiblesse une idole ; ils y rapportent tout... Je connaissais toutes les défaites de la France et j’étais sensible à toutes... » Il connaissait Crécy, Poitiers, Azincourt, mieux que nos victoires. Et c’est vrai que, dans les années qui ont séparé les deux guerres, on vit se produire chez nous une idée, un peu mystique, et morbide surtout, de la France vaincue, éternelle blessée, dont le martyre se prolongerait tout au long de l’histoire : idée fausse et mensonge, suite de la défaite, dialectique autour de la défaite, afin de transformer la honte en fierté malheureuse. Cette idée fausse a pu satisfaire ceux qui l’avaient, d’ailleurs, fabriquée pour les besoins de la cause, les véritables vaincus de l’autre guerre : elle a offensé une génération de jeunes gens qui, n’ayant aucune responsabilité dans la défaite, en ont énergiquement refusé l’avilissante religion.

C’est une belle chose, ce refus. Il caractérise la génération qui a fait la guerre et qui, dans le secret d’une conscience collective, refusait la défaite avant d’avoir remporté la victoire.

M. Drieu La Rochelle dit nettement qu’il s’adresse aux hommes de