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dans la petite chapelle du Palais d’hiver. La princesse Youriewsky et ses enfants, le Césaréwitch et la Césarewna, le grand-duc et la grande-duchesse Wladimir, le grand-duc et la grande-duchesse Constantin l’accompagnaient. Les membres de la famille impériale se placèrent à la droite du souverain, la princesse Youriewsky et ses enfants à la gauche. Après que le monarque, en vertu de son privilège suprême, eut saisi de ses propres mains sur l’autel le Corps et le Sang divins du Christ, les grands-ducs et les grandes-duchesses s’avancèrent pour recevoir de l’officiant la Sainte Eucharistie ; seule, la grande-duchesse Wladimir, qui n’avait pas encore abjuré la confession luthérienne, se tint à l’écart. Puis, de nouveau, Alexandre II s’approcha de l’iconostase, afin d’assister, de tout près, à la communion de sa femme et de ses enfants. Même, il prit ses deux fillettes dans ses bras pour les élever à la hauteur du calice.

La messe finie, l’Empereur alla déjeuner avec la princesse. Comme il sortait de table, on lui remit une lettre urgente du ministre de l’Intérieur, qui lui annonçait une nouvelle importante : l’arrestation de Jéliabow.

Peu après, Loris-Mélikow vint lui raconter en détail comment la police était parvenue à s’emparer du terrible anarchiste ; il ajouta que les premiers indices, recueillis par l’instruction, faisaient deviner la machination d’un drame obscur et l’imminence d’un attentat : il conseillait donc à son maître de ne pas se rendre le lendemain, comme d’habitude, à la parade dominicale de la garde, à la belle cérémonie du razwod, Alexandre II parut fort surpris du conseil :

— Et pourquoi n’irais-je pas au razwod ?

Ne pouvant justifier son inquiétude par aucun fait précis, le ministre ne crut pas devoir insister.

D’ailleurs, le souverain semblait impatient de traiter une autre affaire, dont il apercevait le dossier sous le bras de son visiteur. Ayant pris l’une des pièces, il la lut attentivement et la signa. C’était le manifeste qui annonçait au peuple russe l’introduction d’un organe représentatif dans le Conseil de l’empire ; c’était le premier acte restrictif de l’omnipotence autocratique. Pour tous, ce serait l’aube d’une ère nouvelle.

Alexandre II donna encore hâtivement deux ou trois signatures, puis il congédia Loris-Mélikow.

Aussitôt, il monta chez la princesse Youriewsky.