Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

négociants traitaient les affaires, le travail, le zèle, la rondeur de ses commis-voyageurs, tout cela avait contribué à établir son crédit. La plupart des Chinois ne doutaient pas qu’elle ne l’emportât : il a fallu l’évidence pour les détromper. Alors, dans cet éloignement qui rend les choses plus simples, ils ont vu que la victoire de l’Entente avait été partout obtenue sous les auspices de la France et le commandement de nos chefs : ils en ont reporté sur nous l’honneur principal. Même d’ici, l’on a aperçu clairement, pendant un instant, cette nation qui sauvait le monde, splendide et naïve, dans sa gloire de sang et de rayons. Mais les peuples ne vivent pas sur le souvenir des moments sublimes. Reportant leurs regards plus près d’eux, les Chinois n’y ont pas trouvé la traduction économique de notre victoire : celle-ci avait offert un grand cadre à notre pays : pauvre d’hommes, pauvre d’argent, avec sa monnaie accablée par le change, malgré le zèle et le travail de plusieurs Français, l’audace même de certains d’entre eux, il n’a pu encore le remplir. Cependant une autre voie reste ouverte à notre influence. Les Chinois, présentement, sont surtout avides d’apprendre, et les deux pays auxquels ils sont le plus portés à demander des maîtres sont les Etats-Unis et la France. Mais cela touche à un ordre d’idées plus subtil et à l’image même qu’on se fait de notre pays dans le monde.

La plupart de nos compatriotes s’imaginent naïvement qu’on aime la France : il en est tout autrement et, quels que soient les droits qu’elle se soit acquis à l’affection des peuples, il ne faut pas oublier que, partout où l’amour devrait se trouver, c’est presque toujours l’envie qui en tient la place. Les sentiments indécis qu’on a pour notre pays s’expliquent d’abord par la propagande de nos ennemis, ou de nos rivaux : ici comme ailleurs, il ne manque pas de calomniateurs intéressés, qui voudraient nous mettre à jeun, tout en nous faisant passer pour des ogres. Mais cette propagande aurait moins beau jeu, sans l’incertitude de notre politique générale : celle-ci prend tour à tour des aspects qu’elle soutient mal. Toute action humaine, dès qu’elle s’exerce sur de grandes masses, a besoin pour réussir d’une constance évidente et d’une continuité presque grossière. L’emploi même de la force irrite, moins persévérant qu’intermittent et intempestif : il excite alors d’autant plus de colère qu’il inspire en vérité moins de