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tréteaux, pour faire place à de plus grands acteurs, à l’Eau, au Ciel, à la Terre. Alors le voyageur se vide, lui aussi, de tout ce qu’il avait de particulier, il n’est plus que l’âme d’une espèce, le miroir humain, suspendu, qui s’étonne au milieu des choses.


L’étrange petite ville que Macao ! Etagée sur sa presqu’île, avec ses maisons fardées de couleurs tendres, ses grandes églises théâtrales, on dirait d’une cité portugaise, n’était que la couleur gris-jaune de la mer, de chaque côté, dément un peu l’illusion. Voici, le long de l’eau, la courte promenade où tous les habitants viennent parader et se montrer les uns aux autres, comme sur une scène. Déjà, ce matin, il y passe quelques officiers, et la femme du gouverneur en voiture, qui jette un regard à gauche, un regard à droite. Je gravis les rues pavées, où les noms redondants et magnifiques annoncés par les panonceaux et les enseignes pendent dans un silence qu’ils semblent rendre sonore. La lumière est d’une légèreté admirable et je me dépêche de jouir des choses avant que midi les fane. J’entre dans une vaste église blanche où des vieilles au teint basané, coiffées d’une mantille, marmonnent leurs prières. Je ressors et un peu plus loin, dans des arbres et des rochers, je trouve les petits bâtiments d’un temple bouddhique, où le culte suit aussi son train machinal. Des chiffons et des éventails sont pendus aux branches, des bâtonnets fument, un prêtre psalmodie en faux bourdon, devant un Bouddha enfant, habillé et emmitouflé comme une statue espagnole. Toutes les vieilles religions ont de la douceur. Je reviens le long d’un quai habité par les pêcheurs et qui, par sa situation et par son aspect, rappelle celui qui borde le port intérieur de Tarente. On est saisi par l’âcre odeur du poisson séché : des enfants courent, on entend le clapotement de leurs pieds nus. Une jonque appareille dans la détonation des pétards. Je reviens ainsi à la rue la plus importante qui, droite et moderne, divise la ville. On y voit les devantures des dentistes, celles des photographes, où, sur les mornes images des dames chinoises, les bracelets, : les colliers, les bagues, sont relevés de jaune, et retouchés au pinceau, afin d’être rendus plus visibles et plus glorieux. Des Chinois passent, effaçant leurs visages. Un grossier métis pousse le sien en avant. Les maisons ont toujours