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mon sens, a le défaut de ressembler à ce personnage d’un de ses livres, qui « s’imaginait que ses actions n’auraient jamais de conséquences graves, et qu’il ne pourrait jamais lui arriver rien de sérieux. » Il y règne un ton de persiflage qui détruit l’illusion. L’auteur pèche par abus d’esprit : avec tout cet esprit, il oublie qu’il s’agissait de peindre une révolution.

Je me garderais d’insister, si ce trait ne gâtait tous les autres romans que j’ai lus de M. Bennett. Il me semble que M. Bennett qui, si je suis bien informé, a épousé une Française, est, parmi les nouveaux conteurs de son pays, un de ceux qui ont le plus fait pour renouveler le roman anglais, et pour y introduire quelques-unes des libertés familières aux auteurs de chez nous. Personne plus que lui n’a pris à tâche de rompre avec la pruderie et le collet monté du roman « victorien. » C’était autrefois une convention, que les romans anglais pouvaient traîner sur les tables, sans danger pour l’âme innocente, et que la plus pure jeune fille ne risquait d’y apprendre aucun secret nuisible à sa candeur ; jamais mari ne trompait sa femme, jamais femme ne pouvait être soupçonnée d’inconduite, et la vie la plus équivoque, comme celle de l’affreuse Rébecca de Vanity Fair, était contée de façon à ne pas faire rougir le front d’une pensionnaire. Tout cela est bien changé. Mais entre tous M. Bennett se distingue par la hardiesse. Il secoue toutes les vieilles contraintes, il enchérit encore sur les audaces françaises. Dans Amour profane, une jeune fille de bonne famille s’échappe de la maison, va entendre un concert, se jette dans les bras du virtuose, qu’elle voit pour la première fois, et devient sur le champ sa maîtresse. Dans le Prix de l’Amour, on voit deux jeunes gens bien élevés, invités à dîner chez leur tante, voler chacun de son côté, sans s’être donné le mot, la moitié d’une somme d’argent qu’elle vient de recevoir. On ne dira pas que ce soient des livres pour demoiselles ! Et il y a, çà et là, une certaine insistance sur des détails physiques, des visions complaisantes de femmes déshabillées, un étalage de lingeries et de chambre à coucher, tout un côté sensuel qu’on n’était guère accoutumé à rencontrer dans le roman anglais.

Comment se fait-il, avec tout cela, que ces romans donnent toujours l’impression de l’artifice ? Pourquoi nous est-il si difficile de nous y intéresser ? Je voudrais, pour le montrer, résumer le plus récent des livres de M. Bennett : l’histoire d’une