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Mlle W..., qui occupe une chambre garnie à Strasbourg chez une dame allemande, me raconte que la fille de cette dame avait été féroce pendant toute la durée de la guerre et montrait une joie délirante après chaque victoire. Maintenant que la roue a tourné, elle est aplatie, et sa mère a supplié Mlle W... de ne pas témoigner une satisfaction trop expansive : « Ma fille est trop abattue, et votre joie lui ferait trop de peine. » C’est très bien ! mais quel est l’Allemand qui ait eu de ces délicatesses vis à vis de nous pendant ces quatre années ? Et pourtant nous ne leur demandons pas d’arborer les couleurs françaises, ni de prier pour la victoire française ; nous ne leur défendons même pas de crier contre les Français, si cela les soulage.


LA RÉVOLUTION A STRASBOURG

Au moment où les Alsaciens préparent cocardes et drapeaux tricolores, le bruit court que la révolution qui vient d’éclater en Allemagne commence à se propager sur la rive gauche du Rhin. Les uns s’effraient de ces rumeurs, les autres les accueillent avec la plus tranquille indifférence. Les Allemands prédisent naturellement les pires catastrophes. Cependant des matelots venus de Kiel finissent par pénétrer dans Strasbourg, et ils y instituent un Conseil des soldats. Comment les matelots quittèrent Strasbourg après avoir fait hisser un drapeau rouge sur la flèche de la cathédrale, comment le Conseil des soldats où s’étaient faufilés d’excellents Alsaciens, fit le simulacre d’une révolution et comment, malgré quelques émeutes et quelques pillages, cet étrange gouvernement parvint à maintenir l’ordre dans la ville, avec le concours de la police régulière, il faudra qu’un jour on nous conte cette histoire tragi-comique dont le dénouement, fiévreusement attendu de tous les Strasbourgeois, fut l’apparition des hussards de Gouraud à la porte de Schirmeck. En attendant, voici ce que M. Spindler a vu et pensé de ces journées troublées. Il semble n’avoir pas pris au sérieux cet accès de soviétisme : « Les Allemands s’en vont et les Français arrivent, cela seul importe, » pensait-il très sagement... Tout de même, il était temps que les Français arrivassent.


8 novembre. — Je prends le premier train pour Strasbourg. A Rosheim, M. B., industriel israélite, vient se joindre à moi. Il est radieux de l’arrivée des Français, mais enchanté surtout d’avoir pu rester embusqué, pendant toute la guerre, à fabriquer des munitions. Cependant il redoute qu’un mouvement révolutionnaire ne se produise entre la retraite des Boches et la venue