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le petit escalier de l’auberge : Entré dans sa chambre qu’on avait proprement meublée, il se jeta sur un sopha et m’ordonna aussitôt de lui raconter ce qui s’était passé entre la Duchesse de Berry et moi. Quand je lui eus dit qu’à Padoue la princesse m’avait redemandé l’acte ou plutôt la déclaration du cardinal Zurla :  :

— Je ne la reverrai pas, s’écria-t-il, mais comment lui avez-vous remis cette pièce ?

— Je lui ai fait à cet égard toutes les observations possibles, répondis-je ; toutefois, devant ma résistance, elle aurait eu un prétexte pour accuser le Roi de posséder ce document malgré elle, de l’avoir soustrait à sa confiance.

Charles X voulut bien reconnaître la sagesse de ma conduite. Son projet était de quitter Vordenberg le lendemain matin seulement pour atteindre Leoben vers onze heures. Il me chargeait de dire à Mme la Dauphine qu’il réglerait alors toutes choses avec elle. S’il n’avait écouté que son ressentiment à l’égard de la Duchesse de Berry, il serait immédiatement reparti pour Prague et n’aurait jamais consenti à revoir cette princesse ; mais, surmontant de pareils sentiments, il déciderait avec la Duchesse d’Angoulême, avec M. de Blacas et avec moi quel plan devrait être le sien. J’allais regagner Leoben, mais le Roi me retint à diner. Il ne se mit pas à table et le Duc de Bordeaux en fit les honneurs avec la charmante gaieté d’un âge où heureusement les impressions sont aussi vives que peu durables. Avant mon départ, Charles X me ramena dans sa chambre et m’entretint de sa pénible position. « Demain, me répéta-t-il, nous prendrons une résolution. »

Je m’engageai donc sur la route de Vordenberg. Mon esprit était obsédé par ce que je venais de voir, par ce que je venais d’entendre. J’avais toujours devant les yeux l’altitude abattue du malheureux souverain et il me semblait entendre l’accent de profonde douleur avec lequel s’exhalaient ses plaintes.

J’arrivai vers neuf heures à Leoben. Mme la Dauphine m’attendait impatiemment. Je lui rendis compte de l’état des choses. Elle paraissait désirer que le Roi se rendit jusqu’à Laybach pour y rencontrer la Duchesse de Berry. Sur ces entrefaites, j’appris que le comte de Seldnitsky, voulant mettre à ma disposition un représentant de l’autorité, avait envoyé à Leoben un habile commissaire de police. Je le vis et lui donnai ordre