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Il me demanda d’informer Madame qu’il la recevrait immédiatement. Je pars aussitôt. M. de Saint-Priest m’introduit dans l’appartement de la Duchesse de Berry. J’y trouve M. de Lucchesi qui s’empresse d’aller avertir Son Altesse Royale. Elle ne tarde pas à paraître, son irritation à mon égard est visible, elle ne m’adresse pas la parole. Ce résultat de mes démarches me peina sans me surprendre. J’ai fait de mon mieux pour arranger les choses, mais je savais d’avance quels sont les dangers d’un pareil rôle. On s’expose au mécontentement des deux parties, ou tout au moins de l’une d’elles. D’ailleurs, en l’occurrence, j’étais mandataire de Charles X ; je devais, pour sa dignité, empêcher Madame de venir lui dicter des lois, tandis qu’elle avait à recourir à sa bienveillance. Nous nous mîmes donc silencieusement en marche sous les regards curieux de la foule assemblée. Je servais de guide. Madame la Duchesse de Berry, accompagnée de Mme de Podenas et de M. de Saint-Priest, se se soutenait au bras du comte Lucchesi.

Quand nous arrivâmes sur la place vis-à-vis de « l’Hôtel de l’Empereur, » j’aperçus M. le Duc de Bordeaux à la fenêtre de son appartement. Il se tenait là depuis deux heures dans une grande agitation qu’il cherchait à dissimuler en chantant, mais la contrainte l’avait ébranlé, il était souffrant. Quand je fus près de lui :

— Eh bien ! me demanda-t-il.

— Monseigneur, Son Altesse Royale est là.

Aussitôt, le jeune prince courut avertir sa famille. Le Roi parut au haut de l’escalier avec la Dauphine, les deux enfants, Mmes d’Agoult et de Gontaut, le baron de Damas. Charles X avança dignement vers la Duchesse de Berry qui s’inclina pour lui baiser la main, mais le Roi ne s’y prêta point et laissa Madame à la Dauphine qui la salua du nom de « ma sœur. » La Duchesse de Berry embrassa ensuite ses enfants à plusieurs reprises, par sentiment, je n’en doute point, mais peut-être aussi, sans s’en douter, continua-t-elle de le faire pour échapper à l’embarras. Pendant ce temps, Charles. X parlait à M. de Lucchesi avec cette grâce et cette bonté qui. lui sont naturelles. Tous les gens de suite étaient là fort attentifs et fort curieux.

Peu après, on entra dans le salon qui sert aussi de salle à manger. Mme la Duchesse de Berry était dans un saisissement difficile à dépeindre. En répondant au Roi, elle ne pouvait articuler