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en bijoux d’or lançant des feux, s’animaient sur la glace qui gémissait d’un grand soupir d’amour des arabesques, étranges, aussitôt évanouies, toute une dentelle fine et savante qui se faisait et défaisait comme la tapisserie de Pénélope. Tantôt elle ralentissait la cadence, comme si l’inspiration la trahissait. Et tantôt elle se jetait en avant, courait, virait, voltait. Le manège de ses petits pieds était un miracle. Comme Mercure, elle avait des ailes aux talons. Son rythme, jamais uniforme et jamais brisé, tenait de la danse et du poème. Il chantait le plaisir du grand air, la joie des mouvements harmonieux, la liberté dans l’espace du corps humain dégagé de toutes les lois de la pesanteur. Ce charmant gnome, perdu dans la majesté du décor, en devenait le centre. Toute cette beauté de la montagne en hiver n’avait-elle été rassemblée que pour servir de toile de fond aux exercices d’un petit bout de jeune fille qui s’en parait comme d’une plume blanche à son béret ?

Les minutes qui lui étaient accordées étaient dès longtemps dépassées quand les arbitres songèrent à l’arrêter. Pour que des arbitres eussent oublié leur chronomètre, il fallait un extraordinaire phénomène d’attention. Et les spectateurs firent une ovation à la triomphatrice. Miss Maud Hobinson, en loyale adversaire, la complimenta, bien qu’elle fût peu sensible à cette enluminure de la glace, mais elle guettait l’épreuve de vitesse.

L’épreuve de vitesse, ce fut sa victoire. Ses longues jambes de Diane chasseresse la favorisaient. Dès le départ, sa supériorité s’accusa. Bientôt elle allongea son train démesurément, rapprochant de ce train d’enfer les deux extrémités de la patinoire, le corps tendu pareil à un grand oiseau blanc qui, pour voler, n’a plus besoin, projeté dans l’azur, d’étendre ses ailes. Cependant les virages demeuraient impressionnants. Comment les prendrait-elle sans ralentir son allure ? Mais alternativement, se soulevant en une souple cadence, les patins se dépassaient l’un l’autre en savant manège pour repartir en ligne droite, tandis que le corps se penchait à l’intérieur de la courbe à donner l’impression qu’il s’allait coucher sur la glace, puis se redressait comme un sapin qui a dompté le vent. Cette fois, tout le paysage semblait prendre part à sa course, s’élancer avec elle, la suivre ou tourner autour d’elle. Son mouvement avait rompu l’immobilité des neiges. La nature, à cette vie brûlante, s’animait, s’échauffait, s’humanisait.