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Quelle sottise ! L’érudition n’est pas allemande, mais française. Les Allemands l’ont apprise chez nous : ils l’ont, à leur manière, annexée ; ils l’avaient chapardée. Ensuite, des Français, bien étourdis et d’autres qui mériteraient plusieurs reproches, feignirent de se mettre à l’école des Allemands, négligeant les maîtres qu’ils auraient eus chez nous : vilaine histoire. Et maintenant, l’on se repose à la fainéantise d’éconduire l’érudition comme une espèce de manié boche.

Il y a, je l’avoue, une érudition toute pleine de niaiserie : lesdits Allemands, qui ont eu des élèves en tous pays, même chez nous, ne sont pas les seuls qui l’aient pratiquée. Mais il y a une érudition belle et charmante qu’on ne répudie pas sans montrer un esprit affreux. La philologie pareillement, subit de fâcheuses tribulations. Qu’est-ce que la philologie ? L’amour des mots et de la pensée dont ils sont chargés. Il ne me semble pas qu’un littérateur ait le droit, s’il en a le goût, de mépriser la philologie.

M. Émile Henriot nous vante les vieux livres.., Joubert écrivait à Fontanes, qui était un léger garçon : « Lisez les livres des vieillards... » C’est à cause de l’expérience que donne la vie à la longue ; et les livres des vieillards contiennent leur sagesse acquise. Les vieux livres composent un résumé de toute la rêverie humaine, tout l’essai de la vie que l’on a tentée de maintes manières ; ils nous peuvent épargner la déception qui serait la suite d’une imprudence ou d’une erreur : ils ne nous défendent pas non plus de la recommencer, mais alors pour notre plaisir bien entendu. M. Émile Henriot s’attend qu’on lui objecte : « Il vaut mieux vivre que de lire ; les livres ne nous enseignent qu’une leçon dépouillée et morte, une vérité livresque. » Voici comme il répond : « Cela est vrai seulement pour les personnes qui ne savent pas très bien lire. » Il a raison. Et, j’ajouterai, qu’est-ce que cette opposition de la lecture et de la vie ? N’avez-vous pas le temps de vivre et cependant de lire ? Gardez surtout le temps de lire : le temps de vivre, on l’a toujours, et fût-il bref, dans notre condition mortelle. M. Émile Henriot se souvient d’avoir vu, à Rome, parmi les ruines du forum et du Palatin, de jolies fleurs : « Eh ! quoi, la vie peut donc fleurir encore parmi ces débris, sur ce sol de musée ? Il a suffi de l’imagination exquise d’un poète, qui a eu l’idée de planter ces jeunes rameaux et n’a pas un instant désespéré de la nature maternelle. lien va tout de même pour les plus vieux livres ; ils ne sont jamais si desséchés que la vie n’en jaillisse encore à toutes les pages, quand on sait bien les éclairer : » Bien éclairer les vieux livres, c’est