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dire leur étonnement de retrouver dans ce petit coin d’Alsace, dont hier encore ils ignoraient le nom, des gens qui sentent et qui pensent exactement comme eux.

Cependant je vois le père Weissenburger monter sur une table et imposer silence à l’assistance. Son air vénérable, une certaine dignité de gestes, la conviction qui l’anime, font impression. Il a demandé la parole pour rappeler le souvenir de Mgr Freppel qui, dans son testament, a légué son cœur à la ville d’Obernai où il devra reposer quand elle sera redevenue terre française : puis, après avoir évoqué la figure de Mgr Caspar, enfant d’Obernai, notre ami en arrive à un vivant, son filleul, le père Umbricht. A peine a-t-il prononcé ce nom qu’aussitôt officiers et poilus battent des mains, et de partout s’élève le cri : « Vive Umbricht ! » et chacun de nous raconter un acte de dévouement et de bravoure de ce vrai fils d’Alsace.

La popularité du père Weissenburger se trouve considérablement augmentée, depuis qu’on sait qu’il est apparenté au prêtre le plus populaire de l’armée. Pour nous, la soirée très avancée nous oblige à songer au retour, non sans envier quelque peu les habitants d’Obernai, qui, ce soir, auront le bonheur d’abriter sous leur toit un ou plusieurs de ces héros qui, par leur bravoure et leur endurance, nous ont délivrés du joug allemand.

Tout en cheminant le long de l’Ehn, nous nous remémorons les incidents de cette journée : on est tout à la joie, tout au bonheur. Le couvent de Sainte-Odile a tenu à faire voir qu’il fête avec nous le triomphe de la France. Ses fenêtres sont illuminées. A l’horizon, au-dessus de la silhouette des Vosges, des feux bleus, blancs, rouges, montent vers le ciel. Après avoir longuement contemplé ce feu d’artifice grandiose, nous hâtons le pas pour apprendre si, par hasard, les Français n’étaient pas venus en notre absence à Saint-Léonard.

Ils y étaient venus en effet, ou plutôt à Bœrsch. Marie-Jeanne et Paulot qui sont absolument emballés, tiennent à les y retrouver, et ils entraînent tout le monde. Quant à moi, je ne veux pas gâter l’impression de la belle réception d’Obernai, puis j’ai hâte de développer mes photos : je les laisse donc partir. Tandis que, resté seul au logis, je suis enfermé dans la chambre noire, j’entends tout à coup un tapage infernal dans la cour collégiale, et des voix qui m’appellent. Je lâche mes plaques et