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politique ; qu’il pleure sur les misères allemandes et s’indigne des « atrocités » françaises dans la Ruhr, cela n’a rien d’extraordinaire, aujourd’hui, en un pays savamment travaillé par la plus habile propagande. On peut s’en émouvoir ; on ne peut pas s’en étonner. Mais qu’un homme de grande valeur, un savant, un prêtre, chef du clergé suédois, puisse se tromper aussi lourdement, cela trouble le cœur... Il ne se trompe pas, le mot n’est pas juste. Il est trompé, — comme toute la Suède.

Je ne mets pas en doute la sincérité de l’archevêque d’Upsal, et me rappelant ses paroles, avec précision, je crois qu’il a exprimé un sentiment vrai, en déclarant qu’il aime la France… Seulement, il aime aussi l’Allemagne. Il a, dans les deux pays, des souvenirs et des affections. Il n’a pas su, ou voulu, ou pu choisir. Ne pas choisir dans certains cas, c’est choisir tout de même. Et voilà pourquoi M. Sôderblom, qui aime la France et les Français, prend, peut-être inconsciemment, une attitude de « germanophile. » Sur la simple affirmation des Allemands, et sur la foi de documents truqués, il admet, trop vite, trop facilement, ce qu’un très grand nombre de Suédois admettent, proclament, et réprouvent, soit :

Que la France, dans la Ruhr, apporte la guerre en temps de paix, dans l’intention d’annexer de riches territoires ; qu’elle opprime et martyrise une « noble nation civilisée » ; que les soldats français « boivent le lait enlevé aux nourrissons» ; que des familles honnêtes sont chassées de leurs maisons par des officiers français, et que ces officiers installent, dans les maisons réquisitionnées, des lupanars où l’on traine « des jeunes filles au cœur pur ; » enfin, que la France « contamine » la région occupée, « moralement et sexuellement » (sic). (Cette dernière phrase, qui existe dans le texte soumis aux Anglo-Américains, était omise dans la traduction française envoyée à M. Poincaré et Mgr Dubois.)

Je ne discute pas le cas de l’archevêque d’Upsal. Il m’a reçue chez lui ; il m’a exprimé son amitié pour la France, dans les termes que j’ai rapportés, et il m’a dit « d’embrasser pour lui l’Arc de Triomphe. » Je crois à sa probité d’homme et de prêtre. Je suis certaine qu’il a été victime du savant travail organisé autour de lui, et dupe d’un « mirage » moral. Quand il aura la pleine certitude de l’erreur commise, il la déplorera. Il voudra peut-être même en atténuer les conséquences.