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sous Napoléon Ier ou sous Charles X. Pendant notre dernière guerre, l’ouvrière qui s’offrit un moment des poulardes ou des pâtisseries, des bas de soie et des fourrures, n’avait pas plus de mérite ou d’habileté professionnelle que ses devancières de 1913 ; mais son travail avait soudain enchéri plus que les marchandises contre lesquelles il s’échangeait.

Si les ouvriers se rendaient bien compte du mécanisme des prix du travail, ils sauraient que les salaires sortent de leurs propres poches, que ce ne sont pas du tout les « patrons » qui les paient. Les patrons ont seulement « l’air de les payer. » L’argent qui sort aujourd’hui de leurs caisses y est hier entré par la vente de l’objet manufacturé avant-hier. Le prix de cet objet comprenait la matière dite « première, » laquelle était aussi du salaire accumulé, puisque, « travaillée » déjà par dix corps d’état, elle se trouvait grossie de leurs salaires successifs. Combien, dans le costume du tailleur, représente la laine brute d’Argentine ou d’Australie ?

Mais, dira-t-on, à chaque passage d’une main à l’autre, la marchandise n’augmente pas seulement du salaire payé à l’ouvrier ; elle est majorée d’un prélèvement fait pour solder les « frais généraux, » c’est-à-dire les salaires des commis qui manutentionnent l’objet, des maçons et mécaniciens qui ont construit l’usine et les machines par lesquelles l’usine marche, des mineurs qui ont extrait le charbon pour les chaudières, des cheminots qui l’ont transporté, etc. De sorte que les « frais généraux, » eux aussi, ne sont que des salaires encore, un bloc de salaires cristallisés, incorporés à l’outillage et à la bâtisse, puis remboursés par le patron et constituant ce qu’on appelle son « capital. »

Quant à la différence que l’entrepreneur de travail se ménage entre le total de tous ces salaires, directs ou indirects, et le prix qu’il vend sa marchandise, ce « bénéfice, » quand il existe ( ? ), est tout à fait indépendant du salaire. Non pas qu’une industrie puisse marcher longtemps à perte ; mais tantôt elle prospère avec des salaires très hauts, tantôt elle périclite avec des salaires très bas. La baisse des salaires n’augmente pas le bénéfice du patron ; la hausse des salaires ne le diminue pas ; elle le fait parfois augmenter, on vient de le voir depuis {a guerre. Le gain des patrons est réglé par les patrons, c’est-à-dire par leur concurrence entre eux ; et le gain des ouvriers est réglé par les