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Survint la Révolution de 1789, qui libéra le travailleur de ces 160 jours par an de chômage légal et obligatoire. Le législateur moderne se trouve copier « monsieur le Curé » de l’ancien régime, avec des résultats aussi fâcheux, lorsqu’il prétend imposer au travailleur, pour l’enrichir, un abrègement de la journée qui ne peut, au contraire, être que le fruit de l’aisance due à une production plus abondante.

Un autre fruit de cet accroissement de la production sera, dans un avenir plus ou moins court, l’embourgeoisement de la grande majorité des « prolétaires » par leur accession au capitalisme. Car le capital, qui s’est fort multiplié depuis cent ans, est appelé, — loin de disparaitre comme le croient quelques « communistes, » — à grandir encore bien davantage en se démocratisant. Et n’allez pas croire que la possession, par le plus grand nombre des ouvriers, de valeurs et de revenus mobiliers aura pour conséquence un moindre rendement du travail national. Il existe dès aujourd’hui des individus, des familles innombrables, — petite bourgeoisie urbaine, petite propriété rurale, — dont la besogne est rémunérée par un salaire d’appoint, gages ou profits, honoraires ou traitements, et l’on ne voit pas qu’elles soient pour cela moins laborieuses. Seulement, le jour où la masse du peuple est « propriétaire, » elle a vraiment acquis l’un des « superflus » les plus nécessaires à l’existence : la sécurité du lendemain.

Rien de tout cela ne se fera par décret, ni par grands sauts ni à grand bruit ; mais les transformations du monde futur seront, comme celles du siècle dernier, insensibles et silencieuses. J’ai tenté, au cours de ces études d’histoire sociale, de mesurer la marche du progrès, si différent suivant les domaines, suivant les besoins divers de l’humanité : le jour où les découvertes de la science auraient réalisé pour le logement l’équivalent de ce qu’elles ont obtenu pour la nourriture, ou, mieux encore, pour le vêtement, et par-dessus tout pour l’éclairage, vingt fois plus grand, bien que deux fois moins cher, les mortels favorisés travailleront beaucoup moins, tout en consommant beaucoup plus de tout. Mais peut-être ne consommeront-ils pas plus de joie, parce que l’éternelle inégalité imaginera de nouveaux luxes pour se manifester par des « superflus » nouveaux.