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usage dans les classes populaires sous les divers aspects de linge de corps, de table ou de maison. « A canaille non faut touailles, » disait-on jadis. En effet les touailles, ou serviettes, étaient un luxe inconnu parmi le peuple, et d’ailleurs les plus grands seigneurs, jusqu’à la fin du XVe siècle, ne connaissaient pas les serviettes de table. On s’essuyait les mains et la bouche avec la nappe, — doublier, ou longière, — « comme font encore les Anglais, écrit en 1782, Legrand d’Aussy, qui n’usent point de serviettes. » Ceci nous explique pourquoi le docteur Smollet, débarquant à Boulogne en 1763, constate avec un certain étonnement « qu’il y a ici partout du linge de table ; le plus pauvre marchand a une serviette à chaque coin. »

Cependant leur emploi, sur le continent, n’était ni très ancien, ni surtout universel ; les inventaires de la petite bourgeoisie nous l’apprennent. Souvent même nous voyons de grands personnages louer du linge, des linceulx, ou draps de lit, pour leurs gens, — la location de sept paires coûte, à Rohan, 22 francs, — et le commerce du linge d’occasion, « bon linge de hasard, » florissait au XVIIe siècle sur le Pont-Neuf.

Le luxe du linge variait évidemment, chez les particuliers comme chez les princes, où se rencontrent tantôt l’extrême simplicité : lorsqu’à la cour de France, en 1421, la marque du linge royal consiste en une fleur de lys de fil noir dont la façon se paie 10 centimes ; tantôt l’extrême magnificence : lorsqu’en 1528, à Bruxelles, sont vendues 29 000 francs à Charles-Quint, pour les chapitres de Ia Toison d’Or, trois nappes et trente-six serviettes « avec les armes de l’Empereur et des chevaliers et divers emblèmes et dessins. » De même, au XVIIIe siècle, les dessous féminins vont-ils de 12 francs pour le corset ou « corps à baleine » d’une paysanne, à 60 francs pour celui d’une jeune pensionnaire au couvent et à 228 francs pour celui de Mlle de Chatillon, dont le « corps » se complète d’un « panier de présentation » à 140 francs, en canne et baleine aussi, le jour de ses débuts à la cour.

Mais si le linge d’autrefois, depuis la « toile de Venise », pour nappes fines, à 40 francs le mètre, jusqu’à la toile à 5 francs « pour les cottes des filles, » à 4 francs pour les torchons, à 3 francs pour les draps d’hospice ou les couvertures de chevaux, nous parait d’un prix raisonnable pour les budgets bourgeois et populaires de 1913, comparé aux faibles salaires et aux modiques revenus des siècles passés, il était cher ; de sorte que l’achat