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LA VIE EST UN SPORT[1]


I. — LE DRAPEAU BLEU, BLANC, OR


Cette arrivée, en plein hiver, dans la montagne pareille à un îlot émergeant d’une mer de brumes, est aussi féerique et prodigieuse qu’un débarquement en Orient, dans l’odeur des citronniers et le poudroiement du soleil.

Vous quittez à Montreux le lac Léman, disparu, invisible, englouti dans le brouillard et bordé, — mais en est-on bien sûr ? — de molles villes assoupies et enfermées dans l’ouate comme des bijoux dans leur écrin ; vous prenez le petit chemin de fer électrique de l’Oberland bernois et vous commencez de monter sans vous en apercevoir, car vous êtes enveloppé de nuées et distinguez à peine, quand vous frottez la vitre embuée du wagon, l’apparition d’une végétation nouvelle, de hauts sapins-fantômes qui ont l’air d’être vêtus de longues houppelandes aux manches tombantes. Puis tout à coup, sans aucun avertissement préalable, perçant les brumes, comme un plongeur qui remonte à la surface de l’eau troue la vague brusquement, vous voici en pleine lumière. Et quelle lumière dans un ciel tout bleu, d’un bleu profond, d’un bleu non point massif, mais léger, aérien et mouvant, sur une terre toute blanche, d’un blanc étincelant comme une armure d’argent, étendue en longue vallée creusée pour mieux recevoir tout cet éclat sur ses pentes, ou soulevée en forme de pyramides, de dômes, de coupoles ou de tours qui semblent se dresser pour mieux jouir du jour et se prélasser dans un contentement sans bornes de la matière !

  1. Copyright by Henry Bordeaux, 1923.